Y a-t-il des valeurs universelles ?

Yeshayahou Leibowitz, juif de stricte observance, scientifique et philosophe, était un continuateur de Maïmonide, mais aussi un intellectuel du vingtième siècle qui ne pouvait reprendre tels quels tous les présupposés du Moyen-âge. La différence réside en ce que Maïmonide se voulait rationaliste en posant qu’il était possible de démontrer l’existence de Dieu de manière quasi-certaine.

Leibowitz, comme la plupart des penseurs modernes, croyants ou pas, réfute ces démonstrations mais pose que l’impossibilité de prouver l’existence de Dieu n’empêche pas qu’on le considère comme une valeur suprême. Cette posture oxymorique peut rendre perplexe, parce que cela signifie que pour Leibowitz on peut construire une vision du monde en faisant l’impasse sur la Raison.

A cela Leibowitz répond qu’aucune valeur n’est rationnelle. Ce qui donne le vertige dans son enseignement c’est la déconstruction des valeurs quelles qu’elles soient, dont il dit qu’elles sont discrétionnaires, et que prétendre qu’il y aurait des valeurs universelles est un non-sens. Bien qu’elles soient le propre de l’homme, les valeurs reposent donc sur des décisions arbitraires. Par conséquent il n’y aurait aucune valeur opposable à autrui, ni individuellement, ni collectivement, ni localement ni universellement.

L’idée qu’il n’existerait pas de valeur universelle est dérangeante pour un esprit moderne, parce que l’homme occidental est convaincu que les valeurs sont liées à la Raison et qu’elles en découlent de manière logique. Cela implique que tous les hommes devraient déboucher sur une même morale simplement en suivant le fil de la Raison. Leibowitz s’inscrit en faux contre l’idée que Raison et Morale seraient liées. Il dit que bien que les hommes aient en commun la faculté de formuler des valeurs, les valeurs elles-mêmes peuvent différer entre cultures de manière irréductible parce qu’irrationnelles. Cette conception est pessimiste, parce qu’il faut en conclure que les guerres sont l’expression non pas d’intérêts divergents, mais de valeurs mutuellement exclusives. Ce qui renforce cette idée c’est que les guerres, comme les valeurs, sont le propre de l’homme.

La question de fond consiste donc à se demander de quoi relève ce penchant à s’imposer à soi-même des valeurs alors qu’elles ne sont en rien indispensables à la vie, et lui sont même souvent antinomiques.

La réponse à cela est probablement une question.

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