Le boycott d’Israël : une imposture militante

La campagne BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions), lancée en 2005 par des ONG palestiniennes, appelle à exercer des pressions économiques, culturelles, académiques et politiques contre l’État d’Israël. Ce mouvement, derrière ses slogans humanistes, poursuit en réalité un objectif consistant délégitimer l’existence même de l’État juif.

Loin d’être un simple outil de contestation, BDS se fonde sur une hostilité radicale à l’égard d’Israël, et s’inscrit dans une stratégie d’effacement national. Il ne s’agit pas de critiquer une politique, mais de nier le droit d’un peuple à disposer de lui-même.

En France, les appels au boycott d’Israël ont été reconnus comme une infraction pénale, au titre de la provocation à la discrimination envers une nation, un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Plus largement, dans la plupart des pays occidentaux, ce type de campagne heurte les principes fondamentaux de non-discrimination.

Parmi les aspects les plus révoltants de cette initiative, l’ostracisme académique mérite une attention particulière. Tandis que des milliers d’étudiants arabes — y compris palestiniens — suivent leur cursus dans les universités israéliennes, jouissant d’une liberté d’expression plus large que dans bien des pays démocratiques, le mouvement BDS vise précisément ces institutions, ignorant sciemment les réalités du terrain.

BDS ne dit mot sur la situation de l’éducation dans les territoires dirigés par le Hamas, ni sur le sort des réfugiés palestiniens maintenus depuis des décennies dans des camps par des pays arabes qui refusent de leur accorder la citoyenneté et des droits élémentaires.

Il est vrai que les effets économiques du boycott restent limités. Mais la stratégie repose moins sur les pertes financières que sur la diabolisation symbolique. Il s’agit de souiller l’image d’Israël sur la scène internationale, en jouant sur les ressorts de l’antisémitisme. Comme le souligné le journaliste et essayiste Ben-Dror Yemini, « le problème n’est pas la critique d’Israël. Le problème c’est l’amas de mensonges à son sujet, qui constitue l’un des plus grands obstacles à la paix. »

On accuse Israël des crimes les plus graves, parfois jusqu’au génocide — alors que ceux qui profèrent ces accusations sont souvent les alliés ou les relais de groupes islamistes appelant à l’extermination des Juifs.

Cette inversion morale, cette mise en accusation systématique doit alerter bien au-delà de la communauté juive. Car Israël incarne, pour une grande part du Moyen-Orient, une exception dans un monde en faillite spirituelle, sociale et politique.

C’est pourquoi la lutte contre BDS n’est pas seulement une affaire israélienne. Elle concerne tous ceux qui croient au droit des peuples à l’autodétermination, à la vérité, à la liberté. Et pour les Juifs, ce combat revêt une dimension profonde.

Hannah Arendt disait qu’être juif, c’était « une appartenance politique et nationale ». Lorsqu’on est attaqué en tant que Juif, il faut répondre en tant que tel. La solidarité avec Israël ne devrait pas être une option pour ceux qui se reconnaissent dans le projet sioniste — même de loin — mais une responsabilité.

Israël engage sa sécurité, son avenir, son humanité. Cet engagement a un prix : sang, larmes, persévérance. Le moins que l’on puisse attendre, en retour, c’est une fidélité inconditionnelle à l’idée d’un État juif libre, prospère et vivant.

“Corps et Esprit” de Yeshayahu Leibowitz

Quand les interlocuteurs de Leibowitz[i] s’étonnaient de la radicalité ou de l’audace de ses idées, il insistait pour rappeler qu’il n’avait jamais prétendu inventer quoi que ce soit ni avancer des pensées inédites. Il aimait citer Goethe, qui affirmait que « tout ce qui est sage a déjà été pensé : il faut seulement essayer de le penser encore une fois ». À propos du problème psycho-physique, Leibowitz soulignait que deux mille quatre cents ans auparavant, Aristote s’était déjà interrogé sur la relation entre l’âme – principe de vie et de pensée – et le corps matériel. Rien n’était donc véritablement nouveau, mais il appartenait à chaque époque de repenser les vieilles questions.

Dans son essai Corps et Esprit, Leibowitz remet en lumière l’une des interrogations fondatrices de la philosophie et de la science : celle de la dichotomie entre l’esprit et la matière. Cependant, la façon dont il conduit sa réflexion indique que, pour lui, il ne s’agit pas d’un simple problème scientifique, susceptible d’être résolu par l’accumulation de données expérimentales. Au contraire, la question psycho-physique touche à des limites que la méthode scientifique ne peut franchir sans se transformer en spéculation métaphysique.

La tradition rationaliste, depuis Spinoza jusqu’aux théories matérialistes contemporaines, soutient l’idée que le monde est entièrement régi par les lois de la nature. Selon Spinoza, l’univers n’est qu’une immense chaîne de causes et d’effets, où tout – du magma primitif aux formes les plus évoluées de vie – est matière, et où la conscience elle-même n’est qu’une modalité de cette matière, une illusion produite par l’interaction de causes physiques. Démocrite, bien avant lui, avait déjà proposé une vision atomiste similaire : tout n’est que le fruit de la rencontre et de la combinaison d’atomes dans le vide. Darwin, deux siècles après Spinoza, enfonce le clou en affirmant la continuité de toutes les formes de vie : il n’y a pas de rupture essentielle entre la plus humble bactérie et l’être humain.

Descartes, pour sa part, introduit une rupture entre l’homme et l’animal. Selon lui, seuls les êtres humains possèdent une âme rationnelle, tandis que les animaux ne seraient que des automates biologiques, dépourvus de conscience et agissant mécaniquement. Ce dualisme cartésien subsiste encore aujourd’hui dans certaines conceptions transhumanistes ou neurobiologiques radicales, qui voient en l’homme un robot naturel particulièrement complexe, mais fondamentalement réductible à ses constituants matériels et aux lois qui les régissent. L’univers entier, y compris l’homme, serait alors semblable à un immense jeu de Lego, où les pièces s’assemblent et se désassemblent mécaniquement sous l’effet du déterminisme.

Contre cette réduction matérialiste, Leibowitz affirme que l’homme échappe partiellement au déterminisme par l’existence de son esprit. En tant que neurobiologiste, il observe que l’activité cérébrale accompagne la pensée, mais il constate également que, du point de vue strictement scientifique, la pensée elle-même demeure insaisissable : elle ne produit ni énergie mesurable, ni trace matérielle détectable. De cette constatation, il conclut que le cerveau n’est pas le siège de la pensée, mais plutôt son relais ou son instrument – un médiateur entre l’esprit immatériel et le corps matériel.

La question psycho-physique se ramène donc, pour Leibowitz, à l’énigme de l’articulation entre deux ordres d’être : d’un côté, le cerveau, sorte d’ordinateur biologique traitant des informations ; de l’autre, la pensée, entité immatérielle qui défie toute tentative de réduction.

Leibowitz insiste sur une observation fondamentale : dans l’univers observable, tout se meut, mais seul l’homme « veut ». Cette capacité de réflexivité – de se vouloir soi-même, de juger, de choisir – témoigne d’une transcendance de la nature brute. Elle postule un dualisme irréductible entre matière et esprit. Dès lors, la question psycho-physique mène inévitablement à la question philosophique par excellence : celle du libre arbitre. Leibowitz croit que l’homme en est pourvu, même si la nature de cette liberté reste inaccessible à l’entendement scientifique.

Poussé par sa rigueur intellectuelle à épuiser les conséquences de ses raisonnements – jusqu’à l’absurde si nécessaire –, Leibowitz admet finalement que la question psycho-physique est bien posée, mais que sa solution est hors d’atteinte. Elle échappe aux ressources de la science et débouche sur la métaphysique.

Or, étymologiquement, la métaphysique désigne ce qui vient “après” ou “au-delà” de la physique : elle traite de réalités que l’on ne peut saisir ni démontrer par les moyens de l’observation empirique. En ce sens, elle pose des problèmes insolubles par définition. La dernière énigme est donc celle-ci : pourquoi l’homme se pose-t-il des questions dont il sait d’avance qu’il ne trouvera pas la réponse ? Et cette interrogation ultime est, elle aussi, de nature métaphysique.

***

[i] Yeshayahu Leibowitz (1903-1994). Professeur de biochimie, de philosophie, de neuropsychologie, de chimie organique et de neurologie. Grand érudit de la pensée juive, il fut également rédacteur en chef de la première encyclopédie universelle en hébreu.

Translate