Le droit de manifester : un privilège pour certains. Par Sacha Horowitz

Les démocraties libérales, ou supposées telles, ont connu de curieux développements depuis plusieurs décennies en matière du droit de manifester. Certaines causes bénéficient  de largesses suspicieusement généreuses de la part des gouvernements, tandis que d’autres, tout aussi paisibles, sinon plus, sont sévèrement limitées, critiquées et parfois sanctionnées.

Pourquoi deux poids, deux mesures ? Probablement parce que certaines causes correspondent à l’idéologie des élites, et d’autres leur sont opposées. Le rapport avec l’état de droit est inexistant, il s’agit d’opportunisme et de partis pris.

Comparons deux événements majeurs des années Covid en Amérique du Nord : les manifestations et les émeutes suite à la mort de George Floyd et le mouvement des camionneurs canadiens.

Lors de la crise du Covid, le gouvernement canadien a décidé qu’il serait interdit aux camionneurs de traverser la frontière sans se faire vacciner. Cela en prétendant sans la moindre preuve que les vaccins empêcheront de faire circuler le virus, et en sachant que limiter le trafic de cette manière pénalisera l’économie. Les camionneurs ont protesté en bloquant certains axes routiers, arguant que chacun est libre de choisir d’appliquer un traitement médical ou de s’en abstenir.

Le gouvernement à riposté en gelant les comptes bancaires non seulement des manifestants, mais aussi des personnes ayant fait des dons importants. Le gouvernement canadien a invoqué la loi sur les mesures d’urgence, une loi datant de 1988, qui étendait les mesures prises en temps de guerre à toute situation jugée « urgente » par les élus. Cela, en soi, indique la direction dans laquelle ont évolué les démocraties postmodernes.

La loi sur les mesures de guerre avait été invoquée en 1970 pour permettre de libérer les otages pris par le Front de Libération du Québec, groupe séparatiste violent. Trudeau a cru bon d’utiliser la nouvelle loi, plus malléable, contre ceux qui bloquaient les routes pour s’opposer à une décision médico-politique dont le fondement scientifique était douteux .

À titre de comparaison, faisons un petit détour par les Etats-Unis. Après la mort de George Floyd, les manifestations Black Lives Matter, et les émeutes en particulier, ont fait 1 à 2 milliards de dollars de dégâts, avec 15 à 25 millions de participants. Une vingtaine de personnes sont décédées à cause des violences. Des bâtiments publics ont été incendiés, parfois en sachant que cela mettait en danger la vie de policiers. Aucune mesure financière n’a été prise contre BLM, leurs donateurs, ou leurs manifestants.

Les « convois de la liberté » canadiens ont eu selon les estimations des médias de 5000 à 18000 manifestants, et il n’y a eu pratiquement aucune violence, ni aucun dégât. Dans les deux cas cela s’est passé pendant la crise du Covid. Pour BLM, on a considéré qu’il fallait renoncer aux mesures Covid interdisant de se rassembler, alors qu’on avait annoncé que c’était essentiel pour « sauver des vies ».

Tout cela illustre comment un gouvernement occidental d’aujourd’hui peut utiliser une loi d’urgence prévue à l’origine pour la guerre dès qu’il annonce que la “sécurité nationale” est en jeu. Or, on sait que ce terme est une couverture pour la sécurité politique et idéologique du pouvoir en place. C’est aussi une manière détournée de désigner quelles manifestations sont approuvées ou indésirables.

De plus, il n’y a pas que les gouvernements qui peuvent restreindre les libertés. Des multinationales peuvent introduire des mesures plus ou moins arbitraires plus facilement que des gouvernements – mais parfois en connivence avec eux.  Cela se passe de mille-et-une manières, de manière sournoise, sans nécessiter de mécanismes de coordination explicites, puisque les acteurs partagent une même vision du monde politiquement correcte et craignent eux-mêmes d’être “canceled” par des hordes sur les réseaux sociaux ou leurs collègues s’ils ne marchent pas au pas.

Les grands réseaux sociaux ont ainsi un rôle particulièrement pernicieux puisqu’ils peuvent diminuer la visibilité de certaines idées en se servant de l’opacité de leurs algorithmes. Des banques décident parfois de geler le compte de certains clients dont l’activité politique ou médiatique ne plaît pas aux patrons.

Il n’existe pas aujourd’hui de mouvement social ou de courant politique influent capable de s’opposer efficacement à cette tendance. Les partis populistes dans différents pays occidentaux constituent une tentative de résistance. Or, étant en marge du système, ils sont torpillés par les médias et l’appareil d’État, complices de la problématique décrite plus haut.

Sacha Horowitz

Hannah Arendt et la modernité

Hannah Arendt est une philosophe juive de culture allemande, décédée en 1975. Après avoir fui l’Allemagne nazie, c’est aux États-Unis qu’elle publia ses œuvres les plus connues, dont « La condition de l’homme moderne », essai de philosophie politique où elle analyse la nature de l’activité humaine dans le contexte de la modernité.

L’homme est un animal politique[1], dit Aristote.  Cela signifie que l’espèce humaine est la seule qui, grâce au langage, est à même de concevoir des lois qui ne relèvent pas de celles de la nature. Pour Luc Ferry l’homme est par excellence l’être d’antinature. Il n’est rien d’aussi peu naturel que le règne du droit comme il n’est rien d’aussi peu naturel que l’histoire des civilisations[2] ».

L’homme travaille pour assurer sa survie. Cette activité cyclique s’inscrit dans l’immédiateté et ne laisse pas de trace. Mais au-delà de ses besoins vitaux l’homme crée aussi une œuvre qui dépasse la nécessité et qui est  détachée de la Nature. L’art, et tout ce que fait l’homme de durable et qui n’a pas pour finalité d’être consommé, c’est ce qu’on appelle la culture, ferment de l’Histoire.

Chaque être humain porte en lui une œuvre, assure Proust.  Mais pour que l’homme puisse manifester à la fois son altérité et son désir  de socialisation, il lui faut une Agora[3] pour lui permettre de délibérer et d’agir. La politique, c’est cela.

Mais à notre époque la société de consommation a investi et métamorphosé la sphère publique. Celle-ci est devenue une grande famille aliénée qui glorifie le travail avec pour tout horizon un rêve de bazar et d’infinie abondance. L’homme moderne a troqué la politique contre des biens jetables. Le jour où l’automatisation et l’intelligence artificielle rendra le travail superflu, il n’y aura plus qu’une société de loisirs où des travailleurs sans travail mourront d’ennui.

Quand la sphère publique n’est plus qu’un forum au service de l’économie, la valeur travail prend le pas sur toutes les autres. La plupart des artistes eux-mêmes ne considèrent plus qu’ils créent, mais qu’ils travaillent, et leur  production n’est plus une œuvre, mais une marchandise.

Arendt ne traite pas explicitement du transhumanisme dans « La Condition de l’homme moderne », mais s’inquiétait dès les années 1950 des  velléités scientifiques visant à augmenter les capacités physiques et mentales de l’homme au moyen de la technologie.

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[1] Aristote, « La Politique ». Maïmonide reprend cela mot pour mot dans son « Guide de Egarés ».

[2] Luc Ferry, « Le Nouvel Ordre écologique », 1992, Grasset.

[3] Dans la Grèce antique l’Agora était la place publique  où se tenaient les assemblées politiques, les débats et les échanges commerciaux.

Non à la GPA

Mon opposition à la GPA ne relève pas prioritairement de l’instrumentalisation des gamètes ou des mères porteuses, ni même de la sordidité de cette industrie. C’est ainsi que l’on ne peut exclure que moyennant les garde-fous nécessaires, la GPA ne finisse par être légalisée et légitimée dans un monde régi par les lois du marché. L’on ne peut pas non plus exclure qu’au bout du compte (c’est le terme qui convient) il s’avère que ces enfants ne se distinguent en rien de ceux qui ne relèvent pas du commerce.

Mais même dans ce cas, la question de fond demeure, qui est de ce que l’on appelle le droit naturel. Il s’agit de déterminer si du point de vue philosophique l’on peut priver d’office et d’avance un enfant du père ou de la mère dont il est biologiquement, socialement et culturellement issu. Délibérément fabriquer des orphelins, aussi aimés et heureux soient-ils, est moralement problématique, même quand la manœuvre est  objectivement réussie.

Douce France

Le 10 mai 1940 les nazis envahissaient  la Belgique et mes parents prenaient le premier train en direction de la France. Le bruit  courait que les Allemands arrêtaient les juifs valides pour les envoyer dans des camps de travail au service de la machine de guerre allemande.  A Lyon les autorités  locales attendaient mes parents pour les placer chez l’habitant. Ils ont été conduits à Albon, petit village niché au cœur des montagnes d’Ardèche et se sont installés chez madame Seauve, qui  accueillait le plus naturellement du monde ce couple de fugitifs coupable d’être juif.

Mon frère est né quelques mois plus tard. La guerre faisait rage, mais Albon continuait à vivre sa vie au gré des saisons et des moissons. C’était un coin de paradis où l’on ne manquait de rien. Mes parents et mon frère n’y ont jamais eu faim ni froid.  Ma mère faisait de la couture, mon père allait à la cueillette et tout le village tricotait pour celui qui allait être mon grand frère mais qui était encore petit. Ils sont restés trois ans, jusqu’à ce que les nazis les forcent à fuir à nouveau, vers la Suisse cette-fois-là.

Je suis né après cet épisode familial, mais mes parents l’ont tellement évoqué tout au long de mon enfance que je l’ai intériorisé comme si je l’avais vécu. A l’aide des photos qu’ils avaient conservées, je pouvais même me faire une idée du village et de ses personnages, plus vrais que nature. Sans les avoir jamais rencontrés je connaissais le boulanger, le boucher et le docteur, réfugié juif aussi, celui-là.

La fratrie des Magnan me fascinait. Deux sœurs et un frère, célibataires à vie, qui devaient appartenir à la petite noblesse de campagne  et vivaient dans un manoir à l’écart du village.  Ils semblaient sortir d’un roman avec leur côté balzacien à la fois désuet et digne. Le dimanche était jour de sortie, à l’occasion duquel ils sortaient leur automobile, que monsieur Magnan faisait laborieusement démarrer à coups de manivelle.

Les Magnan s’étaient donnés pour tâche de s’occuper des réfugiés et s’étaient entichés de mon frère. Quand mes parents venaient leur rendre visite il recevait un jouet ou une friandise. Les Magnan le regardaient avec une tendresse toute aristocratique, et quand mes parents prenaient congé ils se tournaient vers mon frère et disaient tristement « pauvre petit Juif ».

Mais le personnage central de ces années à Albon était madame Seauve, chez qui mes parents ont vécu sans qu’il n’y eût jamais la moindre tension. Cette veuve rivée au terroir était dotée d’une étonnante vision du monde. Son fils était universitaire à Lyon et venait de temps à autre lui apporter des nouvelles d’un monde qui brûlait.

Ma mère m’avait transmis une image de madame Seauve qui n’était ni plus ni moins que celle d’une sainte. Bien après la guerre, alors que j’avais douze ans et que j’étais en vacances dans la région dans le cadre d’un mouvement de jeunesse, je me suis éclipsé sans demander d’autorisation. Je brûlais de connaitre madame Seauve. J’avais économisé les quelques sous qu’il fallait pour payer l’autobus qui desservait Albon. J’ai débarqué sans crier gare. Madame Seauve m’a hébergé durant une semaine et m’a présenté au village comme si j’étais à la fois un héros et son petit-fils. J’en suis reparti en me disant que tout était conforme à ce que ma mère m’avait transmis, y compris la sainteté toute laïque de madame Seauve.

Il y quelques jours un ami d’un de mes fils recevait un message de quelqu’un qui cherchait une famille Horowitz qui aurait séjourné à Albon pendant la guerre. Le contact fut établi et rendez-vous  fut pris par vidéo avec mon fils et un fils de mon frère né à Albon, et moi-même.

La personne qui nous cherchait était Jeanne, la propre arrière petite-fille de madame Seauve. Elle est apparue à l’écran, et après quelques mots de bienvenue  nous a révélé qu’elle se trouvait à Albon, dans la maison même où mes parents et mon frère avaient passé trois années paisibles à l’ombre de la guerre. Elle nous a fait visiter par vidéo la maison, et ensuite le village, où nous avons fait connaissance de descendants d’Albonais que mes parents avaient connus.

En 1943, après le départ de mes parents, les Allemands ont commencé à traquer les Juifs de la région pour les expédier à Drancy afin d’être réduits en cendres dans les camps de la mort. C’est cette période que Jeanne cherche à reconstituer maintenant avec Chantal, la secrétaire de mairie,  des historiens et le directeur des archives départementales qui travaille sur les juifs cachés en Ardèche.

Pendant cette heure intense nous avons compris, mon fils, mon neveu et moi-même, que nous venions d’assister à un temps fort.  Cela nous a rappelé ce que cette France profonde a de bon et de beau. A suivre, sûrement.

La question de l’abaya en France

La question de savoir si l’abaya est un signe religieux a été tranchée. La recommandation de la porter vient des mosquées. Les femmes concernées disent elles-mêmes que ce vêtement correspond à une injonction religieuse. Les voix en faveur de l’abaya estiment d’ailleurs que l’interdire est islamophobe. Le corps enseignant quant à lui est contre l’abaya parce que quand un professeur entre en classe il identifie immédiatement les musulmans, ce qui est contraire à la tradition républicaine. Pour contourner cela il faudrait peut-être obliger toutes les filles à porter l’abaya et tous les garçons la djellaba, mais ce n’est peut-être pas  une bonne idée.

Interdire l’abaya à l’école est cohérent avec la laïcité à la française.  Lors de la polémique de 1989 à propos du voile, la notion de laïcité à la française n’était pas claire pour moi. Je pensais qu’il était légitime, au nom de la démocratie, de permettre à toutes les religions d’être prises en compte par l’école. En Belgique, en tous cas, la règle était simple : du moment qu’il y avait trois enfants dont les parents souhaitaient qu’ils aient des cours de religion, il fallait que l’école publique  y pourvoie.

En Israël il y a  des écoles laïques, religieuses, arabes (laïques ou religieuses), bilingues, pour minorités ethniques et pour éléments talentueux. Toutes ces écoles sont publiques.

A ce stade il ne s’agit plus en France de veiller à la paix scolaire en essayant de maitriser les tensions interreligieuses. Il y a cinquante ans il fallait accueillir les immigrés extra-européens  de manière humaine, de comprendre  leurs difficultés, de veiller à ce qu’ils s’assimilent, et que cela se fasse avec pédagogie. Cela réussissait parce que ces immigrés avaient intuitivement conscience qu’ils étaient venus dans un monde nouveau, et que s’ils voulaient que cela se passe bien il fallait en intégrer les règles.  S’approprier, au moins en partie, l’Histoire et les traditions du pays d’accueil.

C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec plus de deux millions de Juifs de l’Empire russe et d’Europe de l’Est, qui ont immigré aux États-Unis au tournant du 20ème siècle. En moins d’une génération ces millions de faméliques qui avaient fui les pogroms et qui souvent ne connaissaient que le Yiddish et la Torah, sont devenus des Américains de cœur et d’authentiques patriotes.

Aujourd’hui la donne est inversée en France à cause de la démographie. Il y a actuellement deux peuples dans ce pays.  Le plus récent, principalement d’origine africaine et du Moyen Orient, est de culture musulmane. La masse critique est telle qu’il semble légitime à ce peuple de revendiquer sa spécificité . Dans le  téléfilm « Fracture » qui date de 2010,  il y une scène qui illustre ce changement de paradigme: alors que la professeure explique qu’il y a plusieurs religions en France, elle mentionne aussi l’athéisme, qui prône qu’il n’y a pas de Dieu. Les élèves de sa classe, nés en France mais majoritairement musulmans,  semblent admettre qu’il peut y avoir plusieurs manière de s’adresser à Dieu, mais pas de colporter qu’il n’existe pas.

Il y a cinquante ans la professeure, forte de son autorité républicaine,  aurait pu leur  opposer qu’en France c’est comme ça et pas autrement et qu’il fallait s’y faire. Mais aujourd’hui elle peine à convaincre et n’est pas soutenue par sa hiérarchie, qui a peur de faire des vagues. Ces élèves se sentent justifiés d’objecter, puisqu’ils font partie d’un nouveau peuple, en France, qui juge que l’athéisme est un crime.

Donc ce qui naguère relevait du rapport entre Etat et religion est très différent de la tension actuelle. Revendiquer la primauté d’un peuple sur l’autre du seul fait qu’il occupe l’Hexagone depuis plus longtemps devient de moins en moins acceptable, en tout cas pour pour une partie de l’opinion publique.

Idéologie et économie en Israël même combat ?

Singapour est dirigé par une même famille et le même parti politique depuis près de soixante ans. Le taux d’application de la peine de mort y est parmi les plus élevés du monde. L’Etat peut infliger à ses opposants politiques, comme à des délinquants de droit commun, des détentions administratives illimitées. La population est sous surveillance et est exposée à une répression permanente. La presse est censurée et l’Internet filtré.  La possession d’antennes paraboliques de télévision est interdite. Les bonnes mœurs sont décrétées par l’Etat.

Singapour jouit néanmoins d’une économie prospère et moderne. Elle est classée au haut de l’échelle dans l’indice mondial de l’innovation, dont le High-tech est l’un des piliers. La confiance des marchés financiers lui est acquise depuis longtemps et pour longtemps.  L’afflux de capitaux y est massif.

Singapour est classée AAA par les agences de notation Moody’s, S&P et Fitch, avec en prime une perspective stable. Les Emirats Arabes Unis et le Qatar sont d’autres exemples d’économies qui ne doivent pas grand-chose à la démocratie mais qui sont néanmoins appréciées par Moody’s et compagnie, malgré leur constitution basée sur la Charia.

Contrairement à une idée colportée par certains médias, Moody’s a récemment exprimé des réserves concernant l’économie israélienne non pas par rapport à la réforme judiciaire en marche, mais par crainte d’instabilité politique vu l’ampleur des manifestations antigouvernementales.

Ce n’est pas parce que le gouvernement d’Israël est détestable pour beaucoup d’entre nous et qu’il est noyauté par des ultraorthodoxes fanatiques et des messianiques fascisants, que tout est permis pour le déloger. La rhétorique est choquante, de ceux qui s’emploient à scier la branche de l’économie sur laquelle nous sommes tous assis. L’idée que la réforme judiciaire ébranlerait l’économie si par malheur elle passait est une fable contreproductive. La bourse et la monnaie israélienne sont attaquées parce que les marchés  ont horreur de l’incertitude, quelle qu’en soit la nature. L’argument consistant à établir un lien entre la perspective d’une dictature et la faiblesse de l’économie est une contrevérité qui empoisonne le débat.

Ne nous trompons pas de combat.  La bataille qui déchire le pays en ce moment est une bataille entre démocratie et théocratie. C’est  un conflit idéologique et éthique. Espérons que la démocratie l’emportera, mais laissons  l’économie en dehors de l’équation.

Fracture

« Fracture » est un téléfilm français qui date de 2010. Il raconte l’histoire d’Anna Kagan, une jeune professeure juive affectée à un poste  difficile dans une école où la plupart des élèves sont issus de l’immigration.

Deux thèses s’affrontent dans « Fracture ».

La première est qu’il n’y a pas de fatalité, que l’Education Nationale et le système de santé sont perfectibles moyennant une volonté politique au niveau économique et humain. Il faut donc chercher à changer les choses.

La deuxième est que la partie est perdue, et que non seulement le dévouement personnel ne sert plus à rien, mais qu’il détruit celui ou celle qui persiste à vouloir changer les choses.

Cette dialectique est illustrée par la scène-clé ou Vidal, professeur vétéran, annonce sa démission pour partir à la recherche du bonheur avec sa compagne, alors que Kagan, professeure débutante, refuse de baisser les bras, quitte à ruiner  son couple.

Le film dépeint la complexité d’une société qui dysfonctionne, où les tragédies s’enchainent sans qu’il y ait de coupables ou de responsables. Un mal systémique qui abrutit le sous-prolétariat (Slimane le djihadiste), même  si certains s’en sortent grâce à une trempe exceptionnelle (Zohra la coiffeuse).

Mais ce que Vidal et Kagan prennent pour quelque chose de ponctuel du point de vue historique est en réalité une lame de fond qui déferle sans entraves sur une civilisation occidentale à la dérive et en panne de spiritualité.

Plusieurs scènes du film décrivent à quel point leurs élèves ne se considèrent pas comme Français et estiment qu’ils n’ont pas à respecter la République.  Même nés en France ils restent mentalement rivés à leur origine. Ces adolescents se sentent d’ailleurs souvent plus proches des Palestiniens que de leurs propres concitoyens et pratiquent un antisionisme truffé de truismes antisémites.  Ils méprisent cette France de tradition chrétienne parce qu’ils considèrent l’Islam comme leur valeur suprême. Cette religion est d’une grande vitalité et a vocation à se propager dans une Europe en déclin.

L’Europe traîne une gueule de bois au bout d’un vingtième siècle sinistre qu’elle n’a toujours pas digéré. Elle est avachie et remet tout à des lendemains qui sans doute déchanteront. En attendant l’immigration extra-européenne qu’elle a encouragée n’est plus composée seulement d’individus, mais constitue en grande partie un peuple dans le peuple, sans intention de se dissoudre. Il y a désormais deux conceptions du monde qui s’affrontent dans la vielle Europe.

Kagan pense que ses élèves, aussi dissipés et récalcitrants soient-ils, sont amendables. Qu’en faisant preuve de pédagogie, d’intelligence, de compréhension et de patience, elle arrivera à les conduire sur le bon chemin. Mais c’est précisément cette notion de bon chemin qui pose problème.

Il n’existe, dans l’absolu, ni  bons  chemins ni bonnes  valeurs. Personne n’en a le monopole. Les spiritualités varient d’une culture à l’autre sans qu’il y ait de règle qui puisse les hiérarchiser ou en expliquer les différences de manière logique.

Le  bon chemin de Kagan est incompatible avec celui de ses élèves. L’imprégnation dans leur esprit de structures héritées de leurs ancêtres est profonde, or ils ne voient pas au nom de quoi ils les renieraient. Des valeurs telles que la laïcité, l’égalité hommes-femmes, la liberté d’expression ou le droit au blasphème sont vus par eux comme des sacrilèges. A leurs yeux la spiritualité dont ils sont porteurs prime sur ce que Kagan pourrait bien avoir à leur transmettre.

La préface de l’ouvrage « Puissance et décadence » du philosophe Michel Onfray se termine ainsi : « Le Titanic va couler. Il ne nous reste que l’élégance de la fin. Ca ne suffira pas pour construire une civilisation. Mais c’est assez pour opposer une résistance romantique à l’inéluctable ».

L’Art

Certains pensent que l’art relève uniquement du génie d’individus qui grâce à leurs dons hors-normes expriment quelque chose d’universel. Mais l’inspiration ne surgit pas par génération spontanée. L’art ne relève pas de l’âme d’une seule personne mais de celle d’une civilisation entière. Les créateurs ne sont pas dotés d’une grâce intemporelle venue de nulle part. L’art a ses racines dans la spiritualité des peuples et est l’avatar d’une maturation qui s’étale sur des siècles et parfois des millénaires. Ce sont les couches thésaurisées de l’Histoire qui rendent l’art possible. C’est le temps long de l’Histoire qui nourrit le temps court de la création artistique. Le Premier Homme du récit biblique ne produisait pas d’art parce qu’il se confondait avec l’éternité de la Nature. Ce n’est que quand il a été jeté dans le monde de la mort et du temps qu’il a commencé à créer.  Aussi innovants que soient les artistes ils n’expriment jamais que l’esprit du temps présent aux prises avec le temps passé.

Douglas Murray et l’étrange suicide de l’Europe 

Douglas Murray est un écrivain, journaliste et commentateur politique britannique néo-conservateur. Ci-dessous des extraits de « L’étrange suicide de l’Europe », traduit de l’anglais et publié en 2018 par « L’Artilleur » à Paris.

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Cette civilisation que nous appelons « Europe » a entamé un processus d’autodestruction, et que ni l’Angleterre, ni aucun pays d’Europe occidentale ne saurait échapper à ce destin. Car il semble bien que nous souffrions tous des mêmes symptômes et des mêmes pathologies. Quand la génération européenne actuelle s’éteindra, l’Europe ne sera plus l’Europe et ses peuples auront perdu leur patrie. Le seul endroit au monde où nous étions chez nous.

Quels que soient ses autres aspects positifs, les bienfaits économiques de l’immigration ne retombent en réalité quasiment que sur le migrant lui-même. Ce sont les immigrés qui ont accès aux infrastructures publiques pour lesquelles ils n’ont pas payé au préalable. Ce sont les immigrés qui bénéficient d’un salaire plus élevé que celui qu’ils pourraient atteindre dans leur pays d’origine. Et très souvent, l’argent qu’ils gagnent, ou du moins une bonne partie de cet argent, est envoyé à leur famille, résidant hors du Royaume-Uni, plutôt que d’être réinjecté dans l’économie locale.

Une étude Gallup menée en Grande-Bretagne révéla précisément que 0 % des musulmans britanniques (à partir d’un échantillon de 500) considéraient que l’homosexualité était moralement acceptable. Une autre étude menée en 2016 révéla que 52 % des musulmans britanniques estimaient qu’il faudrait rendre l’homosexualité illégale.

Pendant ces années, faire campagne sur ces agressions sexuelles, voire les mentionner, vous exposait à de très gros ennuis. Lorsque la députée Labour du Nord, Ann Cryer, s’empara de la question du viol de filles mineures dans sa propre circonscription, elle fut dénoncée comme « islamophobe » et « raciste ». Elle dut solliciter une protection policière. Il fallut des années au gouvernement central, à la police, aux édiles locaux et à l’autorité judiciaire pour oser faire affronter le problème. Lorsqu’ils commencèrent enfin à s’en préoccuper, une enquête officielle dans la ville de Rotherham révéla l’exploitation d’au moins 1 400 enfants de 1997 à 2014. Les victimes étaient toutes des jeunes filles blanches non musulmanes de la communauté locale, la plus jeune d’entre elles n’avait que 11 ans. Elles avaient toutes été sauvagement violées, certaines avaient été aspergées de pétrole et menacées d’être brûlées vives. D’autres avaient été obligées, sous la menace d’une arme, de regarder le viol d’une autre fille : on voulait ainsi les dissuader de raconter ce qu’elles avaient subi. En enquêtant sur ces faits, on découvrit que, même si les coupables étaient presque tous des hommes d’origine pakistanaise, opérant en gangs, les membres du conseil municipal exprimaient une « réticence à reconnaître les origines ethniques des coupables, de crainte d’être considérés comme racistes »

Partout en Europe de l’Ouest, la même vérité émergeait, au moins aussi lentement, souvent presque en même temps, qu’en Grande-Bretagne. Dans chaque pays, le refus des autorités d’intégrer aux statistiques criminelles des considérations ethniques ou religieuses contribua au maintien du silence. En 2009, la police en Norvège révéla que les immigrés d’origine non occidentale étaient responsables de « l’ensemble des viols rapportés » à Oslo22. En 2011, le bureau statistique de l’État norvégien accepta de reconnaître que les immigrés étaient « surreprésentés dans les statistiques de criminalité ».

Si la mondialisation fait qu’on ne peut plus empêcher quiconque de venir en Europe, il faut noter pourtant que ce problème planétaire n’affecte pas tous les pays. Si la cause en est l’attraction économique, alors il n’y a aucune raison pour que le Japon ne soit pas touché par les vagues d’immigration. En 2016, le pays était la troisième plus grande économie au monde, devant l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Mais bien sûr, malgré sa vitalité économique considérable, supérieure à celle de tous les pays européens, le Japon a évité l’immigration de masse en mettant en œuvre des mesures pour l’arrêter, en dissuadant les migrants de s’installer, en rendant l’accès à la citoyenneté japonaise difficile. Peu importe que l’on cautionne ou non la politique du Japon, mais l’exemple de ce pays montre que même à notre époque hyperconnectée, il est possible à une économie moderne d’éviter l’immigration de masse. Le processus n’est pas « inévitable ». De la même manière, bien que la Chine soit la deuxième plus grande économie mondiale, elle n’est pas un pays d’accueil pour demandeurs d’asile ou migrants économiques. En mettant de côté la question de la moralité de ce refus, il est assurément possible, y compris pour les nations les plus riches de la terre, de ne pas devenir le pôle d’attraction des migrants du monde entier. Si l’Europe est attractive, ce n’est pas seulement parce qu’elle fait miroiter richesse et emplois. Certaines raisons spécifiques expliquent qu’elle soit devenue une destination de choix pour les migrants, et ces raisons sont de son fait. Tout d’abord, les migrants ont conscience que l’Europe les autorisera très probablement à rester sur son territoire. Au top des motifs qui les poussent à affluer en Europe figure leur connaissance des mécanismes de l’État providence. Ils savent que l’État providence s’occupe des migrants qui arrivent et que, même s’il leur faudra du temps, même s’ils sont mal pris en charge, leur niveau de vie sera plus élevé et leurs droits plus étendus que nulle part ailleurs, a fortiori dans leur pays d’origine. La croyance, exacte et flatteuse pour les Européens, que l’Europe est plus tolérante, plus pacifique et plus accueillante que n’importe quelle autre partie du monde en fait aussi une destination privilégiée. S’il y avait plus de continents comme l’Europe, nous ne pourrions pas nous vanter d’être une des sociétés les plus généreuses de la planète. Si cette image d’unique endroit sur terre où il est facile de rentrer, facile de rester et sûr de vivre se renforce, alors le continent pourrait découvrir que l’attention qu’il suscite est bien moins flatteuse à long terme qu’elle peut l’être à court terme. Cependant, il n’est pas inévitable que les migrants du monde entier viennent en Europe. Ils viennent parce que l’Europe s’est rendue, pour de bonnes comme pour de mauvaises raisons, attractive.

En décembre 2014, un jour où la mer était agitée, un navire parti des alentours de Nador dans le nord du Maroc et transportant plus de 50 Africains subsahariens tenta de rejoindre la côte du sud de l’Espagne. Le capitaine musulman camerounais accusa un pasteur nigérian chrétien d’être responsable du mauvais temps parce qu’il priait à bord. Le capitaine et l’équipage frappèrent le pasteur et le jetèrent par-dessus bord avant de contrôler les autres passagers, d’identifier les chrétiens, de les frapper, et de les jeter eux aussi par-dessus bord4.

Le terme « multiculturalisme » (et plus encore celui de multikulti en allemand) résonnait différemment selon les individus. Pendant des années et encore aujourd’hui, pour la plupart des gens, le terme signifie « pluralisme » et désigne simplement une société ethniquement diversifiée. Dire à ce moment-là qu’on était en faveur du multiculturalisme revenait à dire qu’on ne se souciait pas du fait que des gens de tous horizons vivent dans son pays.

En 2006, le ministre de la Justice hollandais, Piet Hein Donner, souleva une vague de colère aux Pays-Bas, en laissant entendre dans un entretien que, si les musulmans souhaitaient remplacer la loi du pays par la charia, ils pourraient le faire par des moyens démocratiques (sous-entendant par là : lorsque les musulmans seront devenus majoritaires). En 2004, Donner avait temporairement proposé la réinstauration du délit de blasphème afin de satisfaire aux exigences de certains musulmans.

Samuel Huntington: « Le multiculturalisme est une civilisation ontologiquement anti-européenne. C’est fondamentalement une idéologie anti-occidentale. »

Alors que l’ère multiculturelle commençait à accuser le coup, on chercha à tout prix un pays où ce concept avait fonctionné. Lorsque l’onde de choc des attentats a frappé Londres, les Britanniques se sont demandé si le modèle français de laïcité n’était pas la solution aux problèmes d’intégration. Puis, après la recrudescence du nombre d’attaques terroristes en France commises par des Français, on se demanda si le modèle anglo-saxon n’avait pas au fond tous les mérites. Entre-temps, on crut trouver en Scandinavie la solution miracle, jusqu’à ce que les problèmes de ces pays finissent par apparaître au grand jour. Globalement, l’opinion publique pouvait constater ce que les dirigeants politiques n’arrivaient pas à voir : malgré les différences entre les nations européennes, elles avaient toutes échoué à intégrer les nouveaux venus.

Pendant la crise, la chancelière Merkel téléphona au Premier ministre Benjamin Netanyahu. On raconte qu’elle voulait lui demander conseil. Israël est le seul pays au monde à avoir efficacement intégré un nombre comparable de gens sur une durée équivalente, comme on le vit à l’arrivée des Juifs russes, dans les années 1990. Sans compter les autres vagues migratoires à grande échelle qu’Israël est parvenu à absorber dans les décennies qui ont suivi sa création. Comment Israël avait-il réussi à accueillir autant d’individus tout en restant remarquablement uni, et peut-être même encore plus uni qu’auparavant ? De nombreuses raisons peuvent l’expliquer, notamment les liens que tissent l’expérience commune du service militaire obligatoire et les programmes d’assimilation mis en place par le Gouvernement en Israël. Ce que la courtoisie diplomatique a peut-être empêché le Premier ministre Netanyahu de souligner, mais qu’il eût sans doute été pertinent de dire, c’est que la quasi-totalité des gens qui pendant des dizaines d’années sont arrivés en Israël partageaient un héritage juif commun, alors que dans les mois et les années à venir, Angela Merkel et son pays allaient devoir admettre que les luthériens allemands étaient peu représentés parmi la masse de gens accueillis en 2015.

Le 5 octobre 1990, un dirigeant musulman religieux déclara lors d’une émission de radio – une station subventionnée d’Amsterdam – que « ceux qui résistent à l’islam, à l’ordre de l’islam ou qui s’opposent à Allah et à son prophète, peuvent être tués, pendus, massacrés ou bannis, comme le prescrit la charia ».

Au Royaume-Uni, la police admit n’avoir pas mené à terme de nombreuses enquêtes concernant la mort de jeunes femmes musulmanes, considérant que ce qui ressemblait bien à des « crimes d’honneur » constituait un phénomène interne, propre à la communauté musulmane. En 2006, l’association médicale britannique rapporta qu’en Grande-Bretagne, au moins 74 000 femmes avaient subi l’excision.

Alors qu’ils ne représentent que 1 % de la population, les juifs étaient victimes de près de la moitié des agressions racistes enregistrées en France. Le 14 juillet 2014, à Paris, des fidèles furent enfermés à l’intérieur d’une synagogue par des immigrés psalmodiant, entre autres, « Mort aux Juifs ». En 2012, un musulman armé a tué trois enfants et un professeur dans une école juive de Toulouse. En 2014, un musulman armé a assassiné quatre personnes au musée juif de Bruxelles. En 2015, un autre musulman armé a tué quatre juifs dans un hypermarché casher à Paris. En 2015, c’est encore un musulman armé qui a tué Des prophètes sans honneur un homme, juif, chargé de la protection à la grande synagogue de Copenhague. Ces assassinats, et d’autres agressions, poussèrent finalement à poser la question de l’antisémitisme musulman.

Fallaci cita l’ancien président algérien Houari Boumédiène. Celui-ci, en 1974, avait dit devant l’assemblée générale des Nations unies : « Un jour, des millions d’hommes quitteront l’hémisphère sud de cette planète pour pénétrer dans l’hémisphère nord. Mais pas en amis. Parce qu’ils jailliront pour conquérir, et ils conquerront en le peuplant de leurs enfants. La victoire nous viendra du ventre de nos femmes.

Lors d’un meeting à Cologne en 2008, le Premier ministre (et futur Président) turc, Erdoğan, expliqua à une foule de 20 000 Turcs vivant en Allemagne, Belgique, France et aux Pays-Bas : « Je comprends très bien que vous soyez contre l’assimilation. On ne peut attendre de vous que vous vous assimiliez. L’assimilation est un crime contre l’humanité. » Cependant, il expliqua à son auditoire qu’il lui fallait s’impliquer dans la politique et gagner suffisamment d’influence pour que les cinq millions de Turcs vivant alors en Europe soient capables de ne plus être simplement des « invités » mais deviennent un « élément constitutif » majeur de la société européenne.

Un dernier pays dont l’existence même est reprochée aux Européens et dont on considère généralement qu’il procède du même « péché originel », c’est l’État d’Israël. Depuis sa fondation en 1948, ce « péché originel » n’a fait que se confirmer et s’accentuer. Peu importe que la création du Pakistan, la même année qu’Israël, ait immédiatement entraîné des massacres inimaginables et imposé la déportation forcée de millions de personnes. Le départ et les expulsions occasionnelles de milliers de Palestiniens en vue de créer l’État d’Israël en 1948 sont devenus le « péché originel » du seul État juif de la planète. Au fil des années, un terme arabe s’est popularisé pour décrire ce qui s’était passé : nakba, ou « catastrophe ». Rares sont les États qui ont été créés sans mouvements de population. De nombreux pays nés au XXe siècle (le Bangladesh par exemple) ont connu des mouvements de population et des effusions de sang qui excèdent très largement tout ce qui s’est jamais produit dans les années qui ont suivi la création d’Israël. Mais aujourd’hui, c’est Israël qu’on accuse constamment d’être né de ce « péché originel ». Les citoyens du Pakistan et du Bangladesh peuvent faire des reproches aux Britanniques, mais jamais on exigerait d’eux qu’ils se sentent coupables, comme on l’exige pourtant des Européens et de leurs descendants. Bien sûr, lorsqu’il s’agit d’Israël (État comparativement plus jeune), les suggestions les plus extrêmes pour régler la situation sont envisageables.

Les attentats de Paris accélérèrent le processus de rétropédalage qui était déjà plus ou moins à l’œuvre. La Norvège modifia précipitamment sa politique d’asile et, en l’espace d’une quinzaine de jours après les événements de Paris, même la Suède annonça qu’elle réintroduisait les contrôles à ses frontières. Dorénavant, les gens entrant dans le pays devraient montrer une pièce d’identité. Ce fut annoncé comme si personne n’avait jamais entendu parler d’une telle chose. Lorsque la Première ministre suédoise, Åsa Romson du Parti vert, fit cette déclaration, elle éclata en sanglots.

Un mois avant l’interdiction du burkini à Nice, un Tunisien, Mohammed Lahouaiej-Boulel, fonça en camion dans la foule massée sur la promenade des Anglais pour célébrer le 14 juillet. Quatre-vingt-six personnes furent tuées ce soir-là et bien davantage encore furent blessées. Daesh affirma que le terroriste avait répondu à l’ordre de commettre des attentats en Europe. Le gouvernement français prolongea encore une fois l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis novembre dernier. Mais il est fascinant de constater qu’à peine un mois après une telle atrocité, le plus virulent des débats publics ait porté sur un accoutrement nautique islamique inventé à peine dix ans auparavant. Être fasciné par un tel attachement aux détails, alors que la question centrale demeurait irrésolue, était tout à fait tentant. Un État est capable d’arrêter des gens qui tiennent des kalachnikovs mais comment peut-on empêcher des gens de mettre la main sur des camions ? On peut arrêter les extrémistes qui s’infiltrent dans le pays mais comment fait-on lorsque les extrémistes sont des citoyens français ?

En décembre 2015, le New York Times fit exception à la règle en publiant un reportage sur les stages suivis en Norvège par des réfugiés volontaires, stages destinés à leur apprendre comment traiter les femmes. Ceci visait à lutter contre la drastique augmentation des viols en Norvège. Pendant ces stages, on expliquait notamment aux réfugiés que, si une femme leur souriait ou était court vêtue, cela ne signifiait pas qu’ils pouvaient la violer. Ces formations, destinées à des gens qui (pour reprendre les paroles d’un des organisateurs) n’avaient jamais vu que des femmes en borka et pas en minijupe, plongeaient certains d’entre Apprendre à vivre avec eux dans des abîmes de perplexité. « Les hommes ont des faiblesses. Quand on voit quelqu’un qui nous sourit, c’est difficile de se contrôler », expliquait un demandeur d’asile de 33 ans. Dans son propre pays, l’Érythrée, continua-t-il, « si quelqu’un veut une femme, il n’a qu’à la prendre, il ne sera pas puni pour ça ».

Finalement, le tabou atteint de telles proportions qu’en septembre 2015, des fonctionnaires bavarois commencèrent à mettre en garde les parents allemands : ceux-ci devaient désormais s’assurer que leurs filles, lorsqu’elles sortaient, ne portent pas des vêtements trop près du corps. « Les décolletés, les minishorts et les minijupes peuvent susciter des malentendus », prévenait une lettre aux parents. Dans certaines villes bavaroises, notamment à Mering, la police incitait les parents à ne pas laisser leurs enfants sortir seuls. On conseilla aux femmes de ne pas se rendre à la gare sans être accompagnées. À partir de 2015, on enregistra quotidiennement des signalements de viols dans les rues d’Allemagne, les bâtiments publics, les piscines et en bien d’autres endroits. Des événements semblables furent signalés en Suède, en Autriche et partout ailleurs. Mais partout le sujet des viols resta sous le boisseau, étouffé par les autorités et considéré par la plupart des médias européens comme ne faisant pas partie des informations dignes d’être rapportées.

En janvier 2016, deux hommes politiques révélèrent la véritable ampleur du désastre. Lors d’un entretien accordé à la télévision néerlandaise, Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, reconnut que la majorité des gens arrivés en Europe l’année précédente n’étaient pas des demandeurs d’asile, mais bien des migrants économiques. Citant des chiffres de l’agence de contrôle des frontières Frontex, Timmermans admit qu’au moins 60 % des personnes arrivées en Europe l’année précédente étaient en réalité des migrants économiques, qui n’avaient pas davantage le droit de rester en Europe que n’importe quel autre étranger. Quant à ceux qui étaient originaires d’États d’Afrique du Nord, comme le Maroc et la Tunisie, Timmermans ajouta « qu’ils n’avaient aucune raison de demander le statut de réfugiés ».

Puis, le ministre de l’Intérieur suédois Anders Ygeman reconnut que, parmi les 163 000 personnes arrivées en Suède l’année précédente, seulement la moitié pouvait légitimement déposer une demande d’asile. M. Ygeman évoqua le nombre d’avions dont le gouvernement suédois allait avoir besoin pour les renvoyer dans leur pays, et prévint que plusieurs années seraient nécessaires pour expulser ces gens. Concernant les migrants présents en Suède en 2015, et dont le Gouvernement avait estimé qu’ils n’avaient pas le droit d’être là, il déclara : « Nous parlons de 60 000 personnes mais les chiffres pourraient monter à 80 000. » Il est terrifiant qu’un Gouvernement puisse aboutir à cette conclusion après avoir lui-même fait entrer tant de gens dans son pays.

À la fin du mois de mai 2016, l’Allemagne avait plus de 220 000 personnes sous le coup d’un arrêté d’expulsion. Seules 11 300 d’entre elles furent expulsées, y compris vers les pays où elles étaient arrivées en premier lieu, comme la Bulgarie.

Lorsque les services belges ont enquêté sur les nombreux projets d’attentats fomentés par des Belges, ils ont découvert qu’une grande partie d’entre eux préparaient leur coup en étant toujours subventionnés par l’État. Salah Abdeslam, par exemple, le principal suspect et survivant des attentats de Paris en novembre 2015, avait perçu pendant la période précédant les attentats 19 000 euros d’allocations chômage. Ses dernières allocations remontaient à peine à quelques semaines avant les attentats. Cela fait des sociétés européennes les premières dans l’histoire du monde à payer les gens qui les attaquent.

Écrivains et penseurs se montraient autrefois moins réservés sur la question. Le Déclin de l’Occident d’Oswald Spengler fait partie de ces ouvrages pessimistes et profondément vivifiants qui ont marqué la pensée allemande du début du XXe siècle. Il y défend précisément cette thèse. Spengler considère en effet que les civilisations, à l’instar des gens, naissent, s’épanouissent, dégénèrent et meurent. À ses yeux, l’Occident arrive au terme de ce processus. Une critique courante du « spenglérisme » consiste à dire qu’une des caractéristiques de la culture occidentale réside précisément dans la peur permanente de la décadence. En admettant que cette critique soit juste, cela n’empêche pas que l’Occident, qui aime à s’apitoyer sur son sort, ait effectivement entamé une phase de déclin.

Que détruisirent encore ces conflits et le choc des idéologies ? Très certainement l’idée consolatrice d’un Dieu miséricordieux, à défaut des derniers vestiges de religion. Si la disparition de cette idée ne s’était complètement accomplie dans les boues des Flandres, l’affaire fut définitivement réglée lors du « procès de Dieu » comme Elie Wiesel le décrivit à Auschwitz. Les juifs pouvaient continuer à honorer leurs traditions en tant que peuple et, s’ils avaient perdu leur foi en Dieu, ils pouvaient croire en leur peuple. Mais l’Europe chrétienne avait perdu la foi non seulement en son Dieu, mais aussi en ses peuples. Toute foi que l’homme pouvait encore avoir en l’homme avait été détruite en Europe. À partir des Lumières, la croyance et la confiance en Dieu s’étaient étiolées, mais la croyance et la confiance en l’homme les avaient partiellement remplacées. La croyance en un homme autonome s’était développée avec les Lumières, qui avaient mis l’accent sur la sagesse potentielle de l’humanité. Néanmoins, ceux qui s’étaient laissé guider par la raison avaient désormais l’air aussi ridicules que les autres. La « raison » et le « rationalisme » avaient mené les hommes à commettre les choses les plus déraisonnables et les plus irrationnelles qui soient. Ce n’était qu’un moyen utilisé par des hommes pour contrôler d’autres hommes. La croyance en l’autonomie de l’homme avait été détruite par l’homme.

Quelles répercussions peut avoir l’arrivée massive en Europe de gens qui n’ont reçu en héritage ni les doutes ni les intuitions des Européens ? Personne ne le sait à ce jour et personne ne l’a jamais su. La seule chose dont nous puissions être certains, c’est que cela ne saurait rester sans effet. Laisser s’installer des dizaines de millions de gens, avec leurs idées et leurs contradictions, sur un continent qui professe d’autres idées et porte d’autres contradictions, a nécessairement des conséquences. L’hypothèse que formulaient les tenants de l’intégration, selon laquelle tout le monde, avec le temps, pouvait se transformer en Européen, apparaît d’autant moins valide aujourd’hui que de nombreux Européens ne sont eux-mêmes pas vraiment certains de vouloir le rester.

Puis, par mégarde, M. Goldstein laissa filer une information intéressante. Des amis, qui enseignaient en lycée dans les zones principalement musulmanes de Molenbeek et de Schaerbeek, lui avaient raconté que, dès qu’il était question des terroristes qui avaient semé la désolation dans leur ville, « 90 % des lycéens, âgés de 17 à 18 ans, les considéraient comme des héros ». Ailleurs, dans un entretien accordé à De Standaard, le ministre de l’Intérieur belge, Jan Jambon, affirma qu’une part significative de la communauté musulmane avait dansé lorsque les attaques avaient eu lieu.

Un sondage effectué en Grande-Bretagne en 2006, un an après que les caricatures danoises furent publiées, montra que 78 % des musulmans britanniques pensaient qu’il fallait assigner en justice ceux qui les avaient publiées. Un pourcentage à peine plus faible (68 %) avait le sentiment qu’il fallait assigner en justice toute personne qui insultait l’islam. Le même sondage découvrait que près d’un cinquième des musulmans britanniques (19 %) respectait Oussama Ben Laden et 6 % déclaraient même le « respecter grandement2 ». Neuf ans plus tard, lorsque deux membres d’Aqmi entrèrent dans les bureaux de Charlie Hebdo et massacrèrent l’équipe de rédaction qui avait publié les caricatures de Mahomet, 27 % des musulmans britanniques estimèrent avoir « de la sympathie » pour les motifs des terroristes. Près d’un quart (24 %) disent trouver légitime la violence envers ceux qui publient des images de Mahomet3. La BBC, qui avait commandé le sondage, en fit le gros titre suivant : « La plupart des musulmans britanniques s’opposent aux représailles contre les caricaturistes de Mahomet. »

Ainsi, par exemple, le directeur du centre islamique de Luton, Abdul Qadeer Baksh, qui dirige une école locale, qui est l’allié d’élus locaux au rang desquels on compte quelques parlementaires, qui travaille avec les fonctionnaires du réseau interconfessionnel Luton Council of Faiths. Il pense par ailleurs que l’islam est depuis mille quatre cents ans en guerre avec « les juifs » et que, dans une société idéale, les homosexuels devraient être tués. Il défend l’idée de couper les mains aux voleurs ou de fouetter les femmes, car ce sont des punitions hudud de l’islam, donc acceptables.

Pendant l’été 2014, le festival musical We are Stockholm eut lieu comme chaque année. Sauf qu’en l’occurrence, des dizaines de jeunes filles, dont certaines n’avaient que 14 ans, furent encerclées par des bandes de migrants, principalement des Afghans, frappées et violées. La police locale étouffa l’affaire et n’en fit aucune mention dans son rapport sur le festival, lequel durait cinq jours. Il n’y eut aucune arrestation et la presse évita toute mention des viols. En 2015, des viols organisés par des bandes de migrants eurent lieu dans d’autres festivals de musique, à Stockholm, à Malmö et dans d’autres villes. Les statistiques étaient incroyables. Alors qu’en 1975, la police suédoise recensait 421 viols, en 2014 les chiffres annuels s’élevaient à 6 6205. En 2015, la Suède avait le taux de viols par habitant le plus élevé du monde, à l’exception du Lesotho.

Après le viol en réunion d’une jeune fille, à bord du ferry reliant Stockholm à Turku, en Finlande, la presse affirma que les coupables étaient suédois, alors qu’il s’agissait en réalité de Somaliens. Dans tous les pays voisins se produisaient les mêmes événements. Des études publiées au Danemark en 2016 montrèrent qu’à âge égal, les Somaliens avaient 26 fois plus de chances de commettre un viol que les Danois. Et pourtant, en Suède comme ailleurs, le sujet demeurait tabou.

Il aurait d’abord fallu se pencher sur les racines du problème : à qui l’Europe est-elle destinée ? Ceux qui pensent qu’elle appartient au monde entier n’ont jamais expliqué pourquoi ceci ne fonctionnait qu’à sens unique. Que les Européens parcourent le monde, et on les taxe de colonialisme. Que le monde vienne en Europe, et alors, ce n’est que justice. Ils n’ont pas non plus précisé que si l’immigration devait faire de l’Europe un endroit appartenant à tous, les autres pays en revanche restaient la propriété de leurs peuples. Ils ne sont parvenus à leurs fins que parce qu’ils ont trompé l’opinion et dissimulé ce qu’ils voulaient entreprendre.

Au milieu de ce siècle, alors que la Chine ressemblera probablement encore à la Chine, l’Inde à l’Inde, la Russie à la Russie et l’Europe de l’Est à l’Europe de l’Est, l’Europe occidentale ressemblera à une version à grande échelle des Nations unies.

L’incendiaire incendiée

Jabas Asraa est une mère de famille arabe d’Est-Jérusalem âgée d’une trentaine d’années.  Un matin de septembre 2015 elle décide de massacrer des Juifs au moyen d’une bonbonne de gaz qu’elle charge dans sa voiture avec l’aide de son mari. Lors d’un contrôle de routine un policier demande à voir son permis de conduire. Au lieu d’obtempérer elle hurle « Allahu akbar » et fait exploser sa bombe. Le policier et elle-même sont grièvement brulés, mais survivent à l’explosion.

Lors du procès elle reconnait avoir échafaudé de longue date son attentat . Sa page Facebook témoigne d’ailleurs de son souhait de mourir en martyr en tuant le plus de Juifs possible, et contient des menaces explicites. Suite à son crime elle est condamnée à 11 ans de prison.

Asraa a récemment demandé aux services médicaux de la prison de procéder à une intervention visant à réparer son nez brûlé lors de sa  tentative de meurtre.  Il s’agit d’une opération esthétique pour pallier aux troubles psychologiques dont elle dit souffrir depuis qu’elle a échoué à réduire des Juifs en cendres.

Asraa a été opérée de la main à deux reprises, mais concernant son nez les services médicaux de la prison ont considéré que cette intervention ne relevait pas d’un strict impératif sanitaire.

Asraa fait maintenant appel à la Cour Suprême pour qu’elle enjoigne  l’administration pénitentiaire à financer l’opération sur base d’une nouvelle expertise. A noter que le policier brûlé avait lui aussi fait à l’époque une demande de chirurgie réparatrice, mais cela lui avait été refusé.

Sans commentaire.

 

 

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