La mort de la musique

Michel Onfray[1] enseigne que les civilisations naissent, prospèrent et meurent, entraînant l’Art dans leur déclin. Mais ce processus n’est ni soudain ni uniforme : les civilisations ne s’effondrent pas d’un seul coup, mais se désagrègent à des rythmes inégaux selon leurs composantes. Certaines peuvent encore briller tandis que d’autres s’éteignent avant terme. L’histoire de la musique occidentale illustre ce processus.

Le génie de Jean-Sébastien Bach s’inscrit dans une évolution qui remonte au Moyen Âge et au chant grégorien. Cette monodie, ancrée dans la liturgie chrétienne, évolue entre le XIIe et le XIIIe siècle vers une polyphonie de plus en plus élaborée, jusqu’à son zénith à la Renaissance. Bach marque l’apogée de cette tradition, et sa science du contrepoint atteint la perfection avec L’Art de la fugue, Le Clavier bien tempéré, les Variations Goldberg et L’Offrande musicale.

La prépondérance de la forme contrapuntique perdure un siècle après Bach, en particulier chez Mozart, puis chez Beethoven et Brahms, qui la prolongent en l’adaptant au langage romantique. Mais vers la fin du XIXe siècle, le déclin s’amorce. L’harmonie prend le pas sur le contrepoint et dissout progressivement l’architecture sonore qui avait jusque-là structuré la musique. Le XXe siècle consomme la rupture : avec l’atonalité, le dodécaphonisme et l’avant-garde, le langage musical se fragmente au point de devenir méconnaissable, et pour beaucoup inaudible. La musique devient un exercice pour initiés, un art ésotérique, parfois un ingénieux adjuvant du cinéma, mais n’est plus imprégnée de la spiritualité qui fut longtemps la matrice de l’Occident chrétien. La seule forme véritablement nouvelle qui émerge en Occident au XXe siècle  est le jazz, mais il a ses racines en Afrique.

Mon sentiment est que la musique occidentale est morte. Certains voient dans le déclin civilisationnel de notre époque un terreau fertile pour l’Art, mais la musique contemporaine relève plutôt d’un syndrome d’épuisement que d’un renouveau. Elle évoque l’image d’un poulet dont on a coupé la tête mais qui court encore, mû par une agitation littéralement dénuée de sens.

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[1] Michel Onfray est un philosophe à l’œuvre prolifique, connu pour sa critique du progressisme et son analyse du déclin de la civilisation occidentale. Observateur du monde contemporain, il inscrit son travail dans une perspective historique et civilisationnelle, soulignant les fractures culturelles et spirituelles de notre époque

Pétition de soutien à Eva Illouz

Chers amis,

Vous trouverez ci-dessous la traduction d’une pétition en hébreu appelant le ministre de l’Éducation, Yoav Kish, à revenir sur sa décision d’annuler l’attribution du Prix Israël de sociologie 2025 à la professeure Eva Illouz.

En cliquant sur ce lien vous pourrez vous joindre aux signataires, qui bien que d’horizons divers, expriment leur engagement en faveur de la liberté d’expression.

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Nous soussignés – chercheurs, enseignants, étudiants, créateurs et citoyens de tous horizons de la société israélienne – appelons le ministre de l’Éducation, le député Yoav Kish, à revenir sur sa décision d’annuler l’attribution du Prix israélien de sociologie pour 2025 à la professeure Eva Illouz.

Cette décision ne porte pas seulement préjudice à la professeure Illouz : elle constitue une violation des principes fondamentaux de la société israélienne : la liberté de pensée, l’excellence académique, l’égalité des chances et la capacité à intégrer les opinions critiques comme partie intégrante de la sphère publique.

La professeure Eva Illouz, l’une des plus grandes chercheuses mondiales dans le domaine de la sociologie de la culture, est une voix unique, courageuse et amoureuse d’Israël. En tant que chercheuse principale à l’Institut de la pensée israélienne, elle investit ses conférences et son talent non pas dans l’aliénation, mais dans la compréhension profonde de la société israélienne et dans la proposition de réformes structurelles pour la renforcer. Depuis le 7 octobre, elle est à l’avant-garde de la lutte pour la légitimité d’Israël sur la scène internationale, utilisant ses capacités rhétoriques et théoriques pour combattre le discours qui prive Israël de son droit à exister.

Le professeur Illouz est né à Fès, au Maroc, et a immigré en Israël. Son histoire et ses réalisations sont une source d’inspiration majeure pour les jeunes hommes et femmes d’origine orientale. Pendant des années, elles ont été exclues des postes d’honneur, et maintenant l’une d’elle parvient à se frayer un chemin jusqu’au sommet de la reconnaissance scientifique – et vous, Monsieur le Ministre, choisissez de piétiner l’une des seules possibilités pour qu’un tel mouvement se concrétise.

Au-delà des dommages personnels et sociaux, il s’agit d’une démarche dangereuse d’un point de vue moral et historique. Il s’agit d’une tentative de subordonner la liberté de pensée à des objectifs politiques étroits – une démarche qui rappelle l’obscurcissement de la science après les procès de Galilée, le régime nazi qui a rejeté la théorie de la relativité et le communisme qui a interdit la recherche génétique. Dans tous les cas, ce fut le premier signe d’un déclin culturel, scientifique et social dont ils ne se sont jamais remis. Si l’État d’Israël suit cette voie, il paiera un lourd tribut à sa capacité à se renouveler, à ses capacités scientifiques et à sa capacité à prospérer et à survivre dans un Moyen-Orient hostile.

Nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de cesser de vous servir du Prix Israël comme outil politique. Ce  prix appartient au public, et non pas au gouvernement. Restaurons la dignité de l’esprit israélien et permettons à la professeure Eva Illouz de recevoir la reconnaissance qu’elle mérite.

Signez avec nous – au nom de la liberté, de la culture et de l’avenir

 

Eva Illouz et Prix Israël: suite.

Depuis des décennies, une série d’organismes internationaux s’est discréditée par son parti pris contre Israël, pervertissant les idéaux de justice et d’équité pour en faire des armes d’une guerre diplomatique menée sous couvert de légalité. L’ONU elle-même, censée incarner la neutralité et le respect du droit international, s’est transformée en tribune où l’antisémitisme prospère sous le vernis du langage institutionnel. Ses résolutions, adoptées à la chaîne par une majorité automatique d’États hostiles au droit d’Israël à l’existence, sont des parodies de justice destinées à délégitimer l’unique démocratie du Moyen-Orient.

Dans ce contexte, voir des Israéliens chercher l’arbitrage de ces instances prétendument supranationales pour attaquer leur propre pays relève d’une faute morale et d’une perfidie intellectuelle. Ceux qui choisissent de livrer Israël aux gnomes de La Haye s’inscrivent dans une tradition de reniement, pathologie bien documentée dans l’histoire juive sous le nom de haine de soi. Ce phénomène a toujours trouvé ses adeptes, prêts à se désolidariser de leur peuple pour se faire valoir auprès de ceux qui le persécutent.

Curieusement, ces mêmes individus, qui jettent Israël en pâture à des tribunaux étrangers, se drapent dans l’indignation lorsqu’il s’agit de défendre l’infaillibilité supposée de la Cour suprême israélienne. Leur conception du droit est à géométrie variable : ils la sacralisent lorsqu’elle sert leur cause et la foulent aux pieds lorsqu’elle les contrarie. Ils rejettent toute réforme judiciaire en Israël, dénonçant une atteinte à la démocratie, mais trouvent légitime de recourir à des magistrats internationaux hostiles à l’État juif. Derrière le masque du légaliste se cache en réalité l’idéologue, prêt à instrumentaliser le droit tant qu’il peut en tirer profit.

Mais l’aveuglement et l’arbitraire ne sont pas l’apanage de ces adversaires de l’intérieur. L’État lui-même, lorsqu’il cède à la tentation de l’ingérence idéologique, sape ses fondations. En bloquant l’attribution du Prix Israël à Eva Illouz, le ministre de l’Éducation se rend coupable d’un abus de pouvoir manifeste. Lui-même ne s’en cache d’ailleurs pas : il ne prétend pas juger la valeur de l’œuvre de cette universitaire, mais revendique un acte de censure. Une telle déclaration ne devrait pas seulement inquiéter ses opposants : elle devrait alerter tous ceux qui tiennent à la séparation entre pouvoir et savoir.

Confier à l’Etat le privilège de définir ce qui constitue une « bonne » culture ou une « bonne » science relève d’une dérive de la pensée. L’histoire regorge d’exemples où l’ingérence idéologique dans la production intellectuelle a mené à des désastres. L’épisode Lyssenko en URSS demeure un cas d’école : en rejetant la génétique mendélienne au nom d’une doctrine imposée par Staline, le régime soviétique a provoqué des famines et bridé la recherche scientifique. Lorsqu’un État s’arroge le droit de dicter aux intellectuels ce qu’ils doivent penser, il les réduit de fait au silence.

Le Prix Israël, comme toute institution consacrée à la culture et à la science, doit demeurer un sanctuaire préservé des luttes partisanes. Il ne saurait devenir un champ de bataille idéologique où les rivalités politiques priment sur l’excellence académique. Dès lors qu’il cesse de récompenser le mérite pour se plier aux injonctions du pouvoir, il perd sa raison d’être et se transforme en instrument de propagande. La démocratie se mesure à sa capacité à protéger ses institutions des assauts de l’arbitraire et de la censure. Lorsqu’elle échoue à garantir cette indépendance, elle s’engage dans un déclin spirituel dont elle finit par payer le prix.

Eva Illouz et Prix Israël : distinction sous condition ?

Eva Illouz est une sociologue franco-israélienne de renommée internationale. Ses travaux portent sur la sociologie des émotions, l’impact du capitalisme sur les structures affectives et culturelles, ainsi que les transformations de la vie intime sous l’effet des dynamiques économiques et sociales. Reconnue pour la rigueur de ses analyses et l’influence de ses recherches, elle est considérée comme l’une des intellectuelles majeures de son domaine.

Le Prix Israël est la plus haute distinction académique et culturelle du pays. Il récompense chaque année des personnes ou des institutions pour leur contribution dans des domaines aussi variés que les sciences humaines, les sciences exactes, la culture, l’étude du judaïsme, l’éducation ou le bénévolat. Il vise à honorer l’excellence et l’impact des lauréats dans leur champ de recherche ou d’engagement.

Récemment, une controverse a éclaté autour de la recommandation du comité du Prix Israël de primer cette année Eva Illouz, eu égard à son apport à la sociologie. Le ministre israélien de l’Éducation, Yoav Kisch, s’oppose à cette décision, reprochant à Eva Illouz d’avoir co-signé en 2021 une lettre adressée à la Procureure Générale de la Cour Pénale Internationale (CPI) à La Haye. Dans cette lettre, les signataires proposaient à la CPI de contribuer à son travail au moyen de documents relatifs à des crimes de guerre supposément commis dans les Territoires Occupés, au sujet desquels l’Etat d’Israël n’aurait, d’après eux, pas l’intention d’enquêter.

Dans un courrier adressé au comité du Prix Israël, le ministre a déclaré : « Indépendamment de ses réalisations académiques, la professeure Illouz a choisi, en mai 2021, de déposer une demande d’enquête contre l’État d’Israël auprès de la Cour pénale internationale de La Haye. Il s’agit d’une démarche grave et exceptionnelle en direction d’une institution internationale qui agit contre Israël, contre les soldats de Tsahal et contre les forces de sécurité, mettant en cause les fondements mêmes des institutions du pays. »

Le ministre Yoav Kisch a demandé aux membres du comité du Prix Israël de réexaminer leur recommandation d’attribuer le prix à la professeure Illouz. Il a toutefois précisé que si elle présentait publiquement des excuses et retirait sa signature de la requête adressée à La Haye, il reconsidérerait sa position.

L’examen des statuts du Prix Israël ne laisse pourtant apparaître aucune disposition stipulant que les sensibilités politiques des candidats pourraient être prises en compte lors de l’attribution du prix. L’évaluation d’une contribution scientifique, artistique ou sociale doit donc exclusivement reposer sur la qualité du travail accompli et son apport au domaine concerné, indépendamment des positions personnelles du récipiendaire.

Subordonner cette distinction à des considérations idéologiques reviendrait à la détourner de sa vocation première et à en faire un outil d’instrumentalisation politique.

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