Woody Allen ou l’ironie du néant

Woody Allen est un Juif new-yorkais qui a façonné une œuvre marquée par la tradition intellectuelle juive — celle de l’humour comme lucidité, du doute comme moteur, de l’angoisse comme matière première. Hérité de la diaspora d’Europe de l’Est, cet humour mêle autodérision, absurdité, ironie grinçante et conscience tragique de la condition humaine. Il se nourrit du sentiment d’être étranger au monde, d’en rire parce qu’on ne peut pas y croire tout à fait, et d’en faire un art de la survie. Cette pensée s’exprime entre raison et passion, harmonie et rage, ordre et transgression, sensé et insensé, réel et imaginaire, angoisse et rire, technique et art, le tout par-delà le bien et le mal.

Chez Allen, le comique n’est jamais pur divertissement : il est le masque bariolé de la panique. Le monde est absurde, la vie n’a pas de sens, Dieu est silencieux ou mort, la morale n’a plus de garant. Rire devient alors un geste réflexe, un réflexe vital : si l’on n’en rit pas, on s’écroule. C’est dans cet entrelacs d’humour et de détresse que se loge la profondeur philosophique de son cinéma.

Les films de Woody Allen mettent en scène, avec insistance, un décalage irréductible entre le désir masculin et l’attente féminine. Ce thème n’est pas toujours au cœur de l’intrigue, mais il la traverse en filigrane. L’homme, chez Allen, est tenaillé par une pulsion sexuelle constante, irrépressible, qu’il doit apprendre à dissimuler pour rester fréquentable. La femme, quant à elle, ne semble jamais vraiment comprendre ce que cette pulsion signifie. Elle peut l’observer, la subir, la suspecter, mais non la ressentir.

Allen inverse parfois les rôles : il crée des personnages féminins qui paraissent adopter une sexualité « masculine ». Mais le scénario finit toujours par les trahir : cette virilité n’était qu’un leurre, une stratégie, ou une ruse de la nature, pour reprendre la formule de Schopenhauer. À l’heure du passage à l’acte ou de l’attachement durable, une divergence fondamentale refait surface.

L’un des motifs les plus récurrents est celui du couple usé, sexuellement tari, où la femme rassure, relativise, évoque des cycles, quand l’homme, lui, s’affole. Il ne peut concevoir une vie d’où le désir serait absent. Il doute, il culpabilise, puis finit par céder à la tentation extérieure. Ce cycle tragique, Woody Allen le filme avec une légèreté apparente, mais une lucidité sans indulgence.

Dostoïevski est sans doute l’auteur qui traverse le plus profondément l’œuvre d’Allen. Le cinéaste ne cesse de rejouer, à sa manière, la question morale posée par Crime et Châtiment : que se passe-t-il dans un monde où Dieu est mort ? Où la faute ne rencontre plus de sanction, ni divine, ni humaine ? Où l’homme peut tuer, aimer, mentir, sans jamais être rappelé à l’ordre par un au-delà ?

Dans Crimes and Misdemeanors, un homme fait assassiner sa maîtresse pour préserver sa vie sociale. Il est accablé de remords… puis il les surmonte. Le monde continue de tourner. Dans Match Point, le jeune ambitieux tue sa maîtresse enceinte, cache le crime et finit même par être récompensé par la vie. Ces films sont des variations modernes sur les dilemmes dostoïevskiens, mais ils suppriment la transcendance. Il ne reste qu’un monde plat, dans lequel la faute est soluble dans le temps.

L’écho des Frères Karamazov résonne: si Dieu n’existe pas, alors tout est permis. Mais Allen ne moralise pas. Il observe. Il constate que la justice ne vient pas toujours. Que la conscience peut être anesthésiée. Que l’homme moderne est capable du pire sans même perdre le sommeil.

Si l’influence de Dostoïevski est narrative, celle de l’existentialisme est conceptuelle. Les personnages de Woody Allen sont des êtres jetés dans un monde sans repères, contraints d’inventer leur vie tout en doutant de sa valeur. Ils cherchent des issues dans l’amour, la sexualité, l’art ou la psychanalyse, mais rien n’apaise durablement leur vertige.

La liberté, chez Allen, n’est pas une promesse, mais un fardeau. Elle condamne l’homme à choisir sans jamais savoir s’il a raison. La responsabilité est écrasante. Le héros de Irrational Man, professeur de philosophie dépressif, en arrive à tuer pour se sentir exister. La pulsion de sens devient pulsion d’agir, même criminelle. Et lorsqu’il meurt, le monde ne s’ébranle pas : il glisse.

Il y a chez Allen une proximité paradoxale avec Kierkegaard : l’homme est seul face à l’abîme. Mais contrairement au penseur danois, il n’y a pas ici de saut dans la foi. Le saut est avorté. L’ironie devient alors la seule transcendance.

Les intellectuels chez Woody Allen sont omniprésents : psychanalystes, professeurs, écrivains, cinéphiles… Tous parlent beaucoup, lisent Freud, citent Kant, mais ne savent ni aimer, ni décider, ni vivre. La culture devient une manière de ne pas affronter le vide. Elle anesthésie l’angoisse sans la dissiper.

Les dialogues brillants masquent des vies manquées. Les références savantes sont des béquilles. Allen montre ainsi que la culture, loin d’être une solution, est souvent une fuite : elle transforme la tragédie en conversation, l’abîme en bon mot. C’est une névrose élégante.

La musique joue un rôle fondamental dans le cinéma de Woody Allen. Elle est plus qu’un fond sonore : elle est l’âme invisible des scènes, leur tonalité secrète. Dans Manhattan, la ville est magnifiée par les envolées de George Gershwin. Dans d’autres films, ce sont les standards de jazz — Duke Ellington, Cole Porter, Louis Armstrong, Benny Goodman — qui enveloppent les dialogues d’une douceur mélancolique.

Allen utilise aussi la musique classique avec intelligence. Brahms dans Another Woman, Mahler dans Crimes and Misdemeanors, ou encore Bach dans Love and Death. Chaque morceau donne une profondeur supplémentaire à la scène, parfois en contraste avec ce qui est dit ou montré. La musique devient un commentaire muet, souvent plus honnête que les personnages eux-mêmes.

L’opéra tient également une place discrète mais signifiante, notamment Puccini et Verdi. Il incarne l’excès des passions, la théâtralité du désir, et souligne souvent l’écart entre le drame vécu et l’apparence sociale.

Le jazz, quant à lui, est le genre le plus emblématique d’Allen : musique urbaine, intellectuelle, improvisée, elle lui sert de refuge, d’échappatoire, et même de mémoire. Dans Sweet and Lowdown, entièrement consacré à un guitariste de jazz fictif, Allen rend hommage à Django Reinhardt tout en explorant la solitude d’un génie incapable d’aimer.

À travers ces choix musicaux, Woody Allen exprime une vision du monde nostalgique : un monde désenchanté, où la beauté existe encore, mais détachée de la vérité, suspendue comme une illusion consolante.

Woody Allen dit dans son autobiographie que son plus grand regret est de n’avoir jamais réalisé un grand film. Mais son œuvre, prise comme un tout, est peut-être ce grand film. Elle ne brille pas par une unité formelle ou esthétique, mais par une cohérence existentielle.

Chaque film est une confession déguisée, un fragment de journal intime. Il y parle de son angoisse, de ses désirs, de sa lucidité. L’ironie n’est pas une posture : elle est la seule manière supportable de dire la vérité. En cela, Woody Allen est peut-être le plus philosophe des cinéastes.

Woody Allen ne cherche pas à réconcilier l’homme avec le monde, mais à l’aider à survivre en l’observant. Il n’a pas construit une doctrine, mais façonné une vision du monde — sceptique, angoissée, lucide, et par endroits lumineuse. Il se tient entre foi et nihilisme, désir et impuissance, morale et relativisme, tragédie et burlesque. L’existentialisme qui affleure dans ses films n’a rien d’abstrait : il est vécu, incarné, souvent autobiographique. Il ne propose pas de solution, mais il formule avec une acuité rare les termes du problème.

Cette pensée filmée, ce doute mis en scène, constitue peut-être l’un des plus beaux témoignages artistiques du désenchantement moderne. En mettant en scène des personnages perdus mais vivants, blessés mais brillants, Woody Allen nous tend un miroir — déformant et drôle — dans lequel chacun peut reconnaître ses propres failles.

Et si l’on rit devant ses films, c’est souvent pour ne pas pleurer.

L’affaire Halimi, l’affaire Bedos : anatomie d’une asymétrie morale

En 2017, Kobili Traoré, un multirécidiviste au casier judiciaire impressionnant — près d’une vingtaine de condamnations pour violences, trafic de stupéfiants, vols et outrages — tue sa voisine Sarah Halimi, une femme juive de 65 ans, après l’avoir rouée de coups et défenestrée aux cris d’« Allahou Akbar ». Malgré l’extrême violence des faits, leur caractère antisémite et son passé judiciaire, Traoré est déclaré pénalement irresponsable. Les expertises concluent à une « bouffée délirante aiguë ayant aboli son discernement », consécutive à une consommation de cannabis. La Cour de cassation décide qu’il ne sera jamais jugé. L’irresponsabilité est admise sans procès pour un homme connu des services de police et sans antécédent psychiatrique.

Cette décision provoque une onde de choc dans l’opinion, d’autant plus vive que la justice semble entériner l’idée qu’un état mental pathologique déclenché par une consommation de stupéfiants peut suffire à échapper à toute forme de responsabilité.

En octobre 2024, Nicolas Bedos[1] est condamné à un an de prison, dont six mois avec sursis, pour une agression sexuelle commise un an plus tôt  lors d’une soirée en boîte de nuit. La plaignante a déclaré qu’il lui avait touché le sexe par-dessus son jean alors qu’il était en état d’ivresse extrême. Bedos est jugé responsable de ses actes. Son état d’ébriété, bien qu’avéré et qualifié d’« extrême », n’est pas retenu comme cause d’abolition du discernement.

Dans un cas, un homme sous l’emprise du cannabis est considéré comme irresponsable après un homicide antisémite atroce ; dans l’autre, un homme ivre-mort est tenu pour responsable d’un acte certes répréhensible mais sans commune mesure avec un meurtre. Ce contraste met en lumière une application à géométrie variable des principes de responsabilité pénale, selon le profil de l’accusé, la nature de la victime et le contexte idéologique.

En 2025, Bedos publie La Soif de honte, où il revient sur sa condamnation, reconnaît les faits, exprime ses remords et interroge sa part d’égarement, de vanité et de culpabilité. Mais il est clair qu’il cherche, à travers ce geste, à recouvrer sa place dans l’industrie du spectacle. Cette démarche est compréhensible du point de vue humain, mais dégradante sur le fond. Au lieu de faire appel et de maintenir sa ligne de défense fondée sur son amnésie en raison de son ébriété, Bedos choisit de se soumettre à la vindicte publique. Il cède à la pression médiatique, qui, dès le départ, a pesé plus lourd que les faits eux-mêmes. Il pose un acte de contrition dans l’espoir de se réintégrer dans un monde où l’aveu public, même arraché, est devenu la condition du pardon social.

Cette capitulation s’inscrit dans une société où s’est installée, aux côtés des tribunaux, une juridiction parallèle : celle de l’opinion, des réseaux sociaux, des plateaux télévisés — où la condamnation est immédiate et sans nuance. Dans cet espace le jugement ne repose ni sur la preuve, ni sur la procédure, mais sur la perception, l’indignation et l’urgence de désigner un coupable. Le procès est remplacé par la confession, le contradictoire par la repentance, et la peine judiciaire par l’exclusion, l’effacement et le bannissement.

Ce modèle de pénitence exige des accusés non pas une défense, mais une adhésion au récit dominant. Tout refus de s’y soumettre est perçu comme circonstance aggravante. C’est pourquoi tant de personnalités mises en cause — acteurs, réalisateurs, intellectuels — finissent par publier leur mea culpa en forme de lettre ouverte, d’essai ou de documentaire. Après le tumulte, un silence ; puis une tentative de retour par l’aveu, le remords et la promesse de rédemption. Mais celle-ci est conditionnée par une humiliation préalable. Elle n’est plus le fruit d’un cheminement intérieur, mais d’un rite  de purification publique.

À l’inverse, certaines figures refusent de se plier à ce rituel d’autoflagellation. Woody Allen, accusé de faits prescrits, n’a jamais consenti à entrer dans ce jeu de la confession publique. Il a continué à travailler, à filmer, à s’expliquer avec constance, sans céder à l’obsession contemporaine de l’aveu. Roman Polanski, dont les faits sont plus anciens et les aveux plus ambigus, a lui aussi maintenu une forme de distance avec cette justice de l’émotion, revendiquant le droit à sa vie d’artiste. Mais c’est précisément ce refus d’une soumission morale qui les rend insupportables aux yeux d’une époque qui réclame la pénitence comme préalable à toute réintégration.

Dans cette nouvelle économie symbolique, il ne suffit plus d’être jugé : il faut s’excuser, publiquement, longuement, et en se rabaissant. Toute tentative de nuance, toute défense, tout rappel de la complexité d’un cas sont perçus comme une insulte à la souffrance présumée des victimes. Seul l’aveu public permet de solliciter une forme de réintégration. Le procès n’est plus un moment de vérité, mais un préambule au théâtre du repentir.

La trajectoire de Bedos prend alors tout son sens : en publiant La Soif de honte, il ne cherche pas tant à reconnaître une faute qu’à reconquérir sa légitimité dans un monde où l’adhésion aux dogmes moraux en vigueur est devenue la condition d’existence. Il paie sa dette non pas à la justice, mais à la morale publique. Mais cette dette-là, justement, n’est sans doute jamais vraiment soldée.

***

[1] Dramaturge, metteur en scène, scénariste, réalisateur, acteur et humoriste français.

La Princesse de Clèves ou l’inconstance de l’écrit

Ce qui confère à un texte son universalité — qu’il s’agisse de la Bible, du Roi Lear de Shakespeare ou de La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette — c’est peut-être la capacité à susciter une infinité d’interprétations sans que celles-ci s’excluent. Chaque époque, chaque culture, chaque lecteur peut en proposer une lecture nouvelle, sans invalider les précédentes. À l’image de la Bible, qui a produit des siècles d’exégèse, ou du théâtre élisabéthain, dont la richesse symbolique autorise sans fin de nouvelles mises en scène, La Princesse de Clèves appartient à cette catégorie d’œuvres où les strates d’interprétation ne se détruisent pas mais s’accumulent. Elles constituent un palimpseste, un corpus autonome qui dépasse de loin l’intention de l’auteur.

À une première lecture, pourtant, l’ouvrage semble peu engageant pour le lecteur contemporain. Les péripéties de La Princesse de Clèves paraissent artificielles ; elles évoquent davantage l’univers codé des contes de fées que celui des passions humaines. Les réactions des personnages — leur loyauté excessive, leur constance irréaliste — obéissent à une convention selon laquelle les individus sont entiers, fixes, prévisibles. Cette fixité rappelle l’esthétique du XVIIe siècle, fondée sur la clarté, la mesure et l’ordre. Selon cette logique, le récit se déroule sans surprise : chaque personnage est prisonnier de son rôle, comme ces types sociaux que Molière croquait dans ses comédies, mais sans le contrepoint du ridicule. Tout semble écrit d’avance, et nul n’échappe à son destin.

Il faut donc se rappeler que nous lisons un texte né il y a plus de trois siècles, à une époque où la littérature servait aussi à édifier. Sinon, la tentation est grande de conclure que l’histoire est mièvre, invraisemblable et naïve, et que l’intérêt qu’elle suscite est avant tout historique : l’étude d’une œuvre qui marqua la naissance du roman psychologique en France.

L’intrigue est d’une simplicité déconcertante : une jeune aristocrate, éduquée dans la rigueur morale par une mère toute-puissante, épouse sans amour le Prince de Clèves. Elle se croit tenue à une fidélité absolue, non seulement en actes mais en pensées. C’est pourquoi, lorsque le Duc de Nemours éveille en elle un sentiment qu’elle réprouve, elle confesse à son mari son inclination secrète. Ce dernier, tout autant par amour sincère que par jalousie pathologique, se consume de douleur et meurt prématurément.

Veuve, la Princesse persiste à refuser les avances du Duc de Nemours. À ses yeux, leur amour serait profané par la banalité d’un mariage mondain, et elle doute, en bonne disciple du pessimisme moral de son époque, de la constance de son amant. Elle choisit l’austérité et la solitude.

Le lecteur moderne, habitué à d’autres représentations du désir — de l’ambiguïté proustienne aux brûlures de Marguerite Duras —, peut difficilement s’identifier à ce tableau figé. Mais une autre lecture est possible, plus corrosive, plus libre : celle d’une Madame de Lafayette ironisant sur les conventions sociales de son temps. Car peut-être, derrière la rigueur affichée de son héroïne, faut-il lire une stratégie de dissimulation.

Imaginons que Madame de Lafayette n’ait pas écrit un éloge de la vertu, mais au contraire une subtile subversion de l’ordre établi. Que la Princesse de Clèves, loin d’être une martyre de la morale, soit une figure de rébellion froide. Une femme lucide sur l’hypocrisie masculine et sur la vacuité des promesses d’amour éternel. Que son aveu à son mari ne soit pas un acte de droiture, mais une manœuvre pour se libérer d’un homme jaloux, possessif, étouffant. Une façon d’accélérer un destin qu’elle déteste, en provoquant une catastrophe libératrice.

Selon cette hypothèse, la Princesse manipulerait son entourage avec un art consommé de la dissimulation, à l’image des héroïnes plus tardives du roman noir du XIXe siècle. Elle bernerait sa mère, son mari, son amant, et conquérirait, sous couvert de vertu, une liberté inédite : celle de vivre seule, hors des contraintes conjugales et mondaines. Non par dévotion à une quelconque ascèse, mais par goût souverain pour l’indépendance.

Dans cette lecture, la Princesse de Clèves n’est pas si éloignée d’autres héroïnes littéraires plus ambiguës. Elle annonce, par certains aspects, Manon Lescaut de l’abbé Prévost, pour qui l’amour n’est jamais détachable d’une stratégie de survie. Mais elle rappelle aussi, par sa froideur calculée, la Madame de Merteuil des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos — autre œuvre en trompe-l’œil, où l’apparente défense des mœurs cache une démolition féroce des idéaux de fidélité et de constance.

La Princesse de Clèves et Manon Lescaut pourraient alors être vues comme les deux faces d’une même médaille : l’une parée des vertus de l’honneur, l’autre de la liberté du désir ; mais toutes deux dessinant, à leur manière, la silhouette d’une femme insoumise à l’ordre des hommes.

Ou, pour le dire plus crûment : deux faces d’une même fesse.

Question sans réponse.

Il y avait dans sa voix un sourire difficile à situer. Quelque chose entre l’ironie et la provocation. Elle avançait à l’équilibre, comme souvent.

« Raphaël chéri. Si je te disais que tu es mon genre, il se passerait quoi exactement ? »
La phrase semble flotter, presque jetée là pour s’amuser, elle est en réalité soigneusement composée. Ce qu’elle propose ce n’est pas une vérité, mais l’illusion d’un possible : elle ne dit pas qu’il est son genre, elle dit qu’elle pourrait le dire. Et cette possibilité — cette suspension entre le vrai et le feint — devrait suffire à le faire réagir.

C’est un signal codé, destiné à susciter une réponse. Elle veut le pousser à se dévoiler, à exprimer un désir — même timide — sans avoir à faire le premier pas. Elle sait qu’il aimerait être désiré, et que cela pourrait suffire à le faire parler. Il s’agit de sonder sans se compromettre. Elle cherche à cartographier le désir qu’elle suscite. Mais il ne dira rien si elle ne donne rien. Alors elle donne juste assez — une hypothèse, un conditionnel, une brèche.

« Si je te disais que… une femme, pas moi… »

Lorsqu’elle détourne la question ce n’est plus elle qui est en jeu. Elle disparaît derrière une hypothèse, tout en continuant de manipuler le réel. Cette femme imaginaire est une figure d’extraction : elle permet de maintenir l’interrogatoire en feignant de ne pas en être l’origine. Mais elle est, bien entendu, partout dans la question.

Virginia ne redoute pas tant le désir que la dette qu’il crée. Elle ne veut pas recevoir un sentiment qu’elle n’a pas l’intention de rendre. Elle veut jauger, peser, tester. Ce qu’elle attend de Raphaël, c’est qu’il s’expose pour l’observer.

Raphaël perçoit la tension, les faux-semblants, les pièges. L’espace est verrouillé : il ne peut répondre que sur un mode désamorcé. Il ne veut pas être l’objet d’un jeu dont il ne maîtrise pas les enjeux. Il ne veut pas être celui à travers lequel une femme vérifie sa capacité à plaire. Il voudrait parler vrai — mais pas au prix d’une fausse réciprocité. Il comprend que la scène est construite pour extraire un aveu, alors il ne donne pas prise.

Elle ne veut pas entrer dans une relation, mais s’assurer qu’elle le pourrait si elle le décidait. Le désir de l’autre, ici, n’est pas une promesse d’avenir, mais une gratification immédiate. Lui ressent une fatigue ancienne. Il connaît ces fausses ouvertures, ces conversations où celui qui parle, perd.

À la fin de l’échange, elle laisse tomber « Raphaël… ». Un prénom sans suite, sans intonation, suspendu. Cela aurait pu être un appel, mais c’est une conclusion. Elle est allée au bout de ce qu’elle pouvait contrôler mais quelque chose en lui s’est dérobé. Non pas un repli, mais une absence nouvelle.

Ils échangent encore quelques mots sur un ton égal. Ils parlent pour conclure, par politesse, par habitude. Elle sourit, lui aussi, mais leurs regards ne se cherchent pas.

Ce n’est pas une histoire avortée, c’est une exploration en surface. Rien n’est trahi, rien n’est donné. A peine frôlé, puis écarté. Un choix partagé, somme toute : rester du bon côté du miroir.

Annie Ernaux et la bête immonde

Annie Ernaux est une écrivaine française de talent, dont l’œuvre est essentiellement autobiographique. Elle vient d’un milieu modeste, où ses parents étaient exploitants d’un café-épicerie après avoir été ouvriers. A force de travail et de persévérance Ernaux arrive à s’extraire de son milieu et devient agrégée de lettres. Elle gardera toute sa vie un sentiment de culpabilité par rapport à la classe sociale dont elle est issue, mais , dont elle s’est éloignée par la force des choses.

Ernaux est lauréate de nombreux prix littéraires, dont le Renaudot en 1984 pour son ouvrage « La Place ». Elle figure parmi les grands écrivains français de notre temps. Elle est récemment passée à la télévision sur France 5, où elle était le principal centre d’intérêt. Indépendamment de sa belle plume, on a pu découvrir la dérive morale et intellectuelle de cette  femme de lettres par ailleurs brillante. Ernaux est néoféministe, raciste, indigéniste, communiste, antisémite, décoloniale, neoécologique, propalestinienne, ennemie d’Israël et militante de la France Insoumise depuis 10 ans. Elle est une inconditionnelle Jean-Luc Mélenchon, leader de ce parti islamogauchiste, qui adore lui aussi fréquenter les antisémites de son parti ou d’ailleurs.

Ernaux a cosigné dans le quotidien « Le Monde » une tribune de soutien à Houria Bouteldja, antisémite notoire, et appelé au boycott d’une manifestation culturelle franco – Israélienne.   Son amie Bouteldja juge que Miss Provence était indigne de participer à Miss France, parce qu’elle avait un père israélo-italien.  Elle trouve d’ailleurs d’une manière générale qu’on « ne peut pas être Israélien innocemment » et suggère d’envoyer tous les sionistes au Goulag.  C’est cette scélérate proche des pires ennemis de Juifs que soutient Annie Ernaux, qui n’a même pas l’excuse de l’ignorance.

Colette Avital ou l’emprise du passé

Colette Avital est une femme politique israélienne aujourd’hui à la retraite. Elle a été ambassadeur, consul général, députée, vice-présidente de la Knesset, et candidate à l’élection présidentielle.

Dans une interview au journal Haaretz, elle a récemment relaté qu’elle avait subi il y a près de quarante ans du harcèlement sexuel de la part de  Shimon Peres, Président de l’Etat et Prix Nobel, décédé en 2016. Par la suite ils ont néanmoins collaboré au plan professionnel, et Avital ne s’est jamais exprimée en public à propos des méfaits qu’elle impute maintenant à Peres.

Cette accusation est problématique, parce que si ce qu’Avital avance est vrai, elle n’est pas en mesure de le démontrer, et si elle ment, Peres n’est pas en mesure de se défendre.

Quoi qu’il en soit, le chanteur israélien Nissim Garamè, ami juré de Peres, a appelé les proches du défunt Président à faire entendre leur voix pour défendre sa mémoire. Il a en tous cas fait entendre la sienne, et a déclaré sans équivoque qu’il ne croyait pas Avital, qui d’après lui doit l’ensemble de sa carrière à Peres, sans lequel « elle aurait été employée de supermarché » (sic).  Il est convaincu qu’il s’agit d’une opération de relations publiques destinée à promouvoir l’ouvrage autobiographique d’Avital.

Rina Mazliah, journaliste vedette d’une des principales chaines de télévision, a invité Avital sur son plateau pour qu’elle s’explique sur ses allégations.   En guise de préambule la journaliste a salué le « courage » d’Avital sans que l’on puisse saisir en quoi il est courageux d’accuser un mort,  d’autant que ce genre de « révélation »  est plutôt populaire de nos jours. Mazliah s’est contentée de  présenter Avital comme « victime »  (et non pas comme plaignante), faisant l’impasse sur la présomption d’innocence due au disparu. Elle a bien entendu le droit de croire ce qu’elle veut,  mais un minimum de décence n’aurait pas nui à la qualité de son émission.

Guy Peleg, ce vigoureux zélote du politiquement correct, est un journaliste et commentateur spécialisé en matière juridique.  Il s’est exprimé à ce sujet en disant qu’il était enclin à croire Avital du fait qu’il ne voyait pas quel pourrait être son intérêt de formuler des accusations invérifiables. Il n’a cependant pas précisé dans quelle mesure il a cherché à vérifier.

Il y eut à l’époque une rumeur selon laquelle Avital et Peres entretenaient une liaison secrète, ce que les intéressés ont toujours nié.  Par ailleurs les deux ont été de farouches rivaux lors  des élections présidentielles de 2007, que Peres à fini par remporter.

Ces épisodes ont peut-être laissé des traces douloureuses chez Avital, qui maintenant éprouve le besoin de faire le point auprès du public.

Merav Michaeli ou le monde du contraire

Merav Michaeli est une journaliste et femme politique israélienne de 54 ans. Elle est députée du parti travailliste depuis une dizaine d’années, et en exerce actuellement la présidence. C’est une néoféministe radicale qui se revendique « child-free » (sans enfant par choix). Elle pense que le statut de mère est un fardeau, qu’il est source d’inégalité et qu’il constitue un handicap pour la vie professionnelle. Par ailleurs Michaeli est opposée à la GPA[1] (gestation pour autrui), estimant que la location d’utérus relève d’un trafic de femmes.

Michaeli estime que la cellule familiale est un lieu toxique pour beaucoup d’enfants, et qu’ils devraient être enlevés à leurs parents biologiques dès la naissance pour être confiés à l’Etat. Celui-ci se chargerait ensuite de les placer auprès de personnes dûment habilitées à les élever [2].

Michaeli est par ailleurs d’avis que la société devrait supprimer l’institution du mariage, celle-ci étant un vestige d‘une époque où les femmes n’avaient pas de droits[3].

Michaeli, ayant une large audience en Israël, doit avoir influencé de nombreuses femmes à être comme elle « childfree ». Mais la semaine dernière, coup de tonnerre dans un ciel rose : on apprend que Michaeli et son compagnon ont payé une mère porteuse pour mener à bien une grossesse pour leur compte.

Il n’est pas clair si l’embryon transplanté dans cette mère porteuse est génétiquement celui de Michaeli et de son compagnon. Interrogée sur son revirement, Michaeli déclare à la presse qu’elle n’a pas changé d’avis concernant la maternité, mais affirme avoir cédé au désir d’enfant de son compagnon. Aux dernières nouvelles elle n’a pas été soumise au détecteur de mensonge après cette déclaration.

Michaeli n’en est pas à son premier reniement : le parti travailliste qu’elle préside est depuis les origines du mouvement sioniste l’un de ses pionniers les plus illustres. C’est le parti de Ben Gourion, d’Itzhak Rabin et de nombreux autres héros d’Israël. Or Michaeli a décidé de donner un siège à la Knesset à Ibtisam Mara’ana, cinéaste antisioniste qui d’après ses propres dires aurait aimé écrire un scénario où elle imaginerait la destruction de la ville de Zikhron Ya’akov et expédierait ses habitants en Pologne ou aux Etats-Unis, tout en précisant que les Juifs sont un peuple lâche, cupide et dominateur.

Michaeli, femme de gauche, est actuellement ministre dans un gouvernement dirigé par un Premier ministre de droite. A la réflexion c’est logique dans le monde du contraire de Merav Michaeli.

[1] Cet article de 2013 cite le point de vue de Michaeli sur la GPA :

 אני רואה את זה כדבר מאוד מאוד בעייתי, סוג של סחר בגוף של נשים שמתבצע בחדווה שלא מתקבלת על דעתי. האופן שבו אנשים שאין להם יכולת להביא ילדים לעולם פונים לאישה שצריכה לעבור טיפולים הורמונליים, הריון ולידה עם כל מה שכרוך בזה ואז למסור את הילד, איך להגיד זה, זה לא נראה לי כסביר. הרי מי שעושות את זה הן נשים שזקוקות נואשות לכסף, זאת אומרת אלמנט הבחירה פה הוא קצת מפוקפק  לא בכדי חברות הפונדקאות הגדולות הן בכל מיני מקומות נחשלים בעולם בהן הנשים מוחלשות באופן דרמטי. גם במדינת ישראל מי שעושה פונדקאות זקוקה מאוד לכסף, והתמורה שנשים מקבלות עבור פונדקאות היא לדעתי ממש לא בפרופורציה למחיר שהן משלמות בגוף ובנפש על התהליך הזה. »

« אני חושבת שמי שלא יכולה ללדת ונורא רוצה ילדים וילדות הדבר ההגיוני לעשות הוא לאמץ ולא ללכת לפונדקאות, ואני אומרת את זה בלי שום הבדל מגדרי. אבל אם מותר בישראל לעשות פונדקאות אז זה צריך להיות נגיש לכולם. להגיד לך שזה מאבק שאני אנהל בשמחה- פחות. יחד עם זאת, ודאי שלא אתנגד לזה ואהיה שותפה. לעומת זאת, מה שאני כן אנהל בשמחה רבה ובמאמץ גדול זה את השוואת תנאי האימוץ. אין ספק שזה דבר שחייב להיעשות ואנחנו נעשה אותו בהקדם. שלי, ודי גבוה

המשפחה הגרעינית, כפי שאנחנו מכירים אותה, היא המקום הכי פחות בטוח לילדים

 המדינה צריכה להציע שני הסכמי ברירת מחדל: אחד הוא המשמורת על הילדים. לילד יכולים להיות יותר משני הורים; הם לא חייבים להיות הוריו הביולוגיים בהכרח, ותנאי נוסף שלדבריה המדינה אמורה לקבוע הוא שאדם שיזכה להיות הורה לילד יהיה חייב לעמוד בקריטריונים שהמדינה תפקח עליהם, ובמסגרתם ציינה כי  זה צריך לכלול הרבה חופש עבור הילד, להיות מי שהוא או היא

[3] Il s’agit d’un discours d’une vingtaine de minutes à la télévision australienne, où Michaeli plaide pour l’annulation du mariage, arguant que cette institution n’a d’avantage que pour les hommes. Ce discours se termine par un appel vibrant aux femmes les exhortant à ne pas se marier:

« We must cancel marriage, so we can have a new dream, or better yet, many kinds of new dreams. And until then, create your own agreements, have your own arrangements, but, needless to say, don’t get married.

GPA pour tous en Israël

La GPA (gestation pour autrui) est une technique médicale consistant à transplanter un embryon dans l’utérus d’une femme pour le compte d’autrui. La mère porteuse n’a ni droits ni devoirs envers l’enfant à venir. Une fois qu’elle a accouché, elle cède le nouveau-né à la contrepartie selon des modalités convenues à l’avance de manière contractuelle.

La GPA a été légalisée en Israël dès 1996 pour les couples hétérosexuels, et peu après amendée en faveur des femmes célibataires. Mais considérant que cette loi avait encore toujours un caractère discriminatoire, la Cour Suprême a fini par l’étendre aux couples homosexuels et aux hommes célibataires.

Mais légiférer en matière de GPA n’a pas de sens, parce que les questions éthiques ne peuvent être résolues ni par des juristes, ni par des scientifiques. L’Etat est un mal nécessaire qui n’a d’autre fonction que celle de régler les rapports entre citoyens, et non pas de décréter des valeurs. Il n’a pas à se prononcer sur l’intimité ou la liberté ontologique des êtres humains.

Concernant la GPA, il s’agit plutôt d’examiner si son application relève du droit naturel. Le droit naturel est un concept philosophique qui pose que chaque être humain possède des droits du seul fait de son appartenance à l’humanité. Par exemple, chacun a droit à la vie, à la santé, à la liberté et à la propriété.

Les partisans de la GPA revendiquent le droit d’avoir des enfants au nom du droit naturel d’être parent.

Les mères porteuses revendiquent le droit de gestation pour autrui au nom du droit naturel de disposer de son corps.

Mais les droits naturels devraient être applicables également aux enfants “produits” par GPA. Comme ceux-ci n’ont pas les moyens de se faire entendre avant de naître, ils pourraient exiger plus tard des éclaircissements et seraient justifiés de poser les questions suivantes :

Est-il éthique de priver d’office et d’avance un enfant du droit naturel de se construire une identité conforme à son origine génétique, à ses liens familiaux et à ses racines culturelles ?

Est-il éthique de priver d’office et d’avance un enfant du droit naturel d’être aimé et élevé par un couple constitué par une femme et un homme ?

En d’autres mots, la GPA est-elle éthique ?

Don Juan ou la naissance de l’homme sans maître

L’origine du mythe de Don Juan se trouve dans Le Trompeur de Séville, une pièce écrite au début du XVIIᵉ siècle par Tirso de Molina, moine et dramaturge espagnol. Chez lui, le libertinage n’est qu’une figure de la perdition : Don Juan passe sa vie à blasphémer et à séduire, mais finit, au seuil de la mort, par se repentir. Il implore l’absolution avant d’expirer. La structure morale est celle du péché, de la faute, du pardon : la transgression n’est tolérable qu’à condition d’être rachetée. L’œuvre repose sur une idée fondatrice du christianisme : la toute-puissance du Jugement, auquel nul, même le plus endurci des pêcheurs, n’échappe.

Mais le Don Juan de Molière et celui de Mozart inaugurent une rupture. Le personnage cesse d’être un coupable rédimé ; il devient un insoumis. Il n’est plus l’homme qui faute et se repent ; il est celui qui refuse jusqu’à l’idée même de faute. Libertin dans l’acception du XVIIᵉ siècle, il est libre penseur, sceptique, matérialiste, rejetant aussi bien l’autorité divine que l’ordre social.

Ce Don Juan n’est pas un simple débauché : il incarne une contestation radicale de l’autorité. Il refuse non seulement Dieu, mais aussi la société qui l’a institué. Il n’y a pas, dans son attitude, une simple indifférence ; il y a une négation active. L’idée même de remords lui est étrangère. Il ne croit ni en l’existence du péché, ni en la nécessité d’une rédemption. À cet égard, il est un précurseur de l’homme moderne : celui qui ne se pense plus sous le regard de Dieu, mais dans la lumière âpre de son désir et de sa volonté propres.

La promesse de mariage est, chez lui, un outil de séduction cynique mais révélateur. Là où les femmes voient dans l’alliance un accomplissement, une protection, une légitimité, Don Juan ne voit qu’un instrument pour parvenir à ses fins. La supercherie est d’autant plus efficace qu’elle s’appuie sur l’aveuglement volontaire de ses victimes : ce n’est pas tant lui qu’elles aiment, c’est ce qu’il promet. Il met à nu leur propre soumission au mythe social du mariage, leur dépendance à l’égard d’une reconnaissance extérieure.

Pour le dire de manière crue : Don Juan promet le mariage pour obtenir le plaisir ; ses victimes cèdent au plaisir dans l’espoir du mariage. Il retourne contre elles leur propre fantasme d’ascension ou de stabilité sociale.

Elvire, figure emblématique de cette mécanique, incarne la tragédie de ce mirage. Cloîtrée dans un couvent, préparée à entrer dans un mariage arrangé, elle cède aux promesses de Don Juan et le suit. Il l’épouse, mais l’abandonne aussitôt, fidèle à lui-même. Le scandale est double : non seulement il séduit et abandonne, mais il révèle, sans pitié, l’inconsistance du système qui l’entourait.

Poursuivi, traqué, menacé, Don Juan ne fléchit pas. Ni son père, ni son valet, ni les figures d’autorité ne parviennent à infléchir sa trajectoire. Il reste jusqu’au bout dans la fidélité à sa propre nature. Il ne s’excuse pas ; il n’implore pas le pardon. Il va jusqu’au bout de sa logique : vivre, jouir, défier.

Ainsi Don Juan, chez Molière et chez Mozart, ne meurt pas par excès de faute, mais par excès de fidélité à lui-même. Il assume seul la conséquence de son choix : vivre sans Dieu, sans loi, sans autre maître que son propre désir. Sa mort est moins un châtiment qu’une consécration : il meurt comme il a vécu, en défiant tout pouvoir qui prétendait le juger.

En cela, Don Juan est un personnage proprement moderne. Il annonce la figure du surhomme nietzschéen : non parce qu’il accomplit des exploits, mais parce qu’il affirme, dans une solitude totale, sa propre souveraineté. Il refuse la soumission, l’humiliation, la repentance. Son destin est tragique, non par échec, mais par fidélité : il paie de sa vie la liberté qu’il a conquise.

À travers Don Juan, c’est tout un monde ancien qui vacille. La promesse d’un salut garanti, l’idée d’un ordre supérieur auquel chacun devrait se soumettre, la croyance dans un au-delà rédempteur : tout cela est nié par la simple existence d’un homme qui choisit de vivre jusqu’à se consumer, sans autre guide que son propre plaisir.

Don Juan meurt non par accident, mais par cohérence. Il n’a pas vécu pour expier ; il est mort pour avoir pleinement vécu.

La bonne action

S était une femme une pakistanaise, titulaire d’un permis de séjour, mais qui n’exerçait pas l’emploi auquel elle était officiellement destinée. Au lieu de travailler pour l’hôtelier qui l’avait fait venir, elle faisait des ménages, mieux payés mais illégaux. Elle avait quarante-deux ans. Mince, menue, d’apparence fragile, elle avait une force de travail impressionnante. Souriante, ponctuelle, fiable, discrète, elle s’occupait de mon appartement depuis sept ans.

Un jour je la surpris en pleurs, au téléphone avec sa famille du Pakistan : ses trois enfants, sa mère, son frère. Quand elle raccrocha je lui demandai ce qui n’allait pas. Elle s’effondra : sa famille lui reprochait de ne pas leur envoyer assez d’argent. Elle travaillait pourtant dix heures par jour, sans jamais prendre de vacances, vivant dans un renoncement absolu. Tout ce qu’elle gagnait, elle l’envoyait au pays. Elle n’avait ni compagnon, ni loisirs, ni plaisirs. Tous les soirs elle tombait d’épuisement, sans rêves, sans espoir. Elle n’aimait pas la vie — et la vie semblait le lui rendre.

A la suite d’une énième altercation entre ma voiture et une colonne en béton de mon parking, je l’emmenai chez le carrossier pour la faire réparer. La veille de la récupérer, je passai retirer des espèces au distributeur du coin. Au moment de régler la réparation, le carrossier constata que la somme que j’avais préparée ne correspondait pas. Troublé, je pensai avoir égaré des billets et retournai au distributeur. De retour chez moi je réapprovisionnai le tiroir où je gardais mon argent liquide.

La semaine suivante, j’eus impression que ma réserve avait diminué. Je comptai les billets, les photographiai dans l’ordre où ils se trouvaient, puis partis à la plage, comme d’habitude lorsque S venait faire le ménage. À mon retour il manquait deux cents euros. Je ne dis rien. Je pensai qu’elle avait dû faire face à une urgence.

La semaine suivante, la scène se répéta. Encore deux cents euros de disparus. Je me tus encore. Mais, loin de s’arrêter, les disparitions continuèrent. Je convoquai S et lui annonçai que j’avais passé contrat avec une société de nettoyage; que je ne pouvais plus l’employer, invoquant sa situation irrégulière et l’absence d’assurance. Elle ne protesta pas, ne posa aucune question. Elle resta figée, tétanisée.

Le lendemain, elle me rappela. Elle voulait me voir. Quelques jours plus tard nous nous retrouvâmes. Avant même que je ne parle, elle me jura qu’elle me rendrait le câble USB qu’elle m’avait volé. J’ignorai jusqu’à l’existence de ce larcin, et lui dis que ce n’était pas la raison de son renvoi. Elle me demanda si ce qu’elle avait fait était grave. Je lui répondis que c’était grave, mais que ce n’était pas grave. Elle insista. Alors je lui dis : — Je sais que tu as volé. Et je t’ai laissé faire, pensant que tu avais une urgence à résoudre.

À ces mots, elle éclata en sanglots. Elle hoqueta, sanglota, s’excusa, pria. Entre deux pleurs, elle me supplia de ne pas porter plainte. Sinon, elle serait expulsée. Je la rassurai : je ne porterais pas plainte. Je lui fis promettre de ne plus recommencer ailleurs.

Elle me dit que sa vie ne valait rien, qu’elle voulait mourir. Je tentai de la consoler. Je lui dis que moi aussi, j’avais connu la misère, et que ce n’était pas une fatalité. Elle reprit son souffle. Elle me regarda et dit : — “You are a good man”, puis s’éclipsa.

Je me sentis comme l’évêque de Digne, dans Les Misérables, affirmant aux policiers que l’argenterie retrouvée chez Jean Valjean était un don.

Quelques semaines plus tard, je vis son visage en photo dans la presse. S s’était pendue.

DSK ou la coupable innocence

Tristane Banon est une romancière et journaliste française. En 2011 elle porte plainte contre Dominique Strauss-Kahn[1], l’un des amants de sa mère, pour tentative de viol dont elle affirme avoir été l’objet en 2003.  Le parquet de Paris ouvre une enquête, mais Strauss-Kahn nie les faits et porte plainte en diffamation contre Banon. Il est entendu par des enquêteurs, et admet avoir tenté sans succès d’embrasser Banon au cours de l’interview qu’elle était venue lui faire dans son appartement. Quelque temps plus tard le parquet classe la plainte sans suite, estimant ne pas avoir suffisamment d’éléments pour engager des poursuites.

Banon a récemment été invitée à participer à l’émission « c’est à vous » sur France 5 afin d’évoquer cet épisode de sa vie. Elle revient dessus avec sa version, ce qui est légitime.  Mais le parti-pris dont elle bénéficie de la part des journalistes et chroniqueurs, et l’unanimité de ceux-ci contre Strauss-Kahn est digne de la presse de Corée du Nord. Pour mémoire, Dominique Strauss-Kahn a été trainé en justice  à plusieurs reprises dans le cadre d’affaires de mœurs, mais a été relaxé à chaque fois.  N’ayant jamais été condamné il dispose donc d’un casier judiciaire vierge.

Au cours de l’émission, l’animatrice et ses collègues qualifient sans nuance Banon de « victime » sans tenir compte, à aucun moment, du fait que dans cette affaire il s’agit de la parole de l’un contre l’autre. D’une part Banon n’est donc pas une « victime »,  mais une plaignante, et Strauss-Kahn n’est pas un coupable, mais un plaignant, eu égard à sa plainte pour diffamation.

Non seulement les justiciers de cette émission-tribunal se moquent de la présomption d’innocence, mais justifie en plus le lynchage médiatique subi par Strauss-Kahn.

A quand l’invitation de Strauss-Kahn sur ce même plateau par les mêmes journalistes ?

[1] Dominique Strauss-Kahn, dit « DSK » est un économiste et homme politique, et fut directeur général du FMI jusqu’en 2007.  Candidat potentiel à la présidence de la république il se retira de la vie publique après sa mise en cause dans le cadre d’une accusation d’agression sexuelle à New York, bien qu’ayant bénéficié en fin de compte d’un non-lieu.

J’accuse le boycott de J’accuse

Né en 1933, Roman Polanski n’avait pas vocation à devenir l’un des plus grands cinéastes de tous les temps. Petit de taille, cet grand artiste est un rescapé de la Shoah, qui n’a dû le salut qu’à son évasion du ghetto de Cracovie à l’âge de huit ans, et qui ensuite fut privé d’école parce que Juif.

La mère de Polanski a été assassinée au camp d’extermination d’Auschwitz alors qu’elle était enceinte, et bien des années plus tard son épouse, elle aussi enceinte, a  été massacrée par des monstres. Son père quant à lui a survécu au camp de concentration de Mauthausen.

Polanski a été condamné en 1977 aux Etats-Unis pour abus sexuel sur Samantha Geimer, une jeune fille mineure. Le féminisme contemporain incite à la libération de la parole, ce que Samantha Geimer a mis en pratique en accordant son pardon à Polanski et en déclarant que  sa mésaventure ne l’a traumatisée ni mentalement ni physiquement.  La libération de la parole, c’est aussi cela. 

A chacun de se faire une idée de l’homme Polanski, mais rien dans son œuvre n’est illicite. Les Césars décernés à son film « J’accuse » constituent avant tout un hommage à son talent et à celui de ses collaborateurs.

Non seulement est-il absurde de boycotter « J’accuse », mais il faudrait au contraire en faire la promotion.  Toute opposition à ce film est d’office et d’avance une obstruction au combat contre l’antisémitisme. Les jeunes,  les moins jeunes, les vieux et les ignares en tous genres doivent apprendre ce que fut l’affaire Dreyfus. Qu’ils sachent que cette ignominie a été le terreau de l’antisémitisme de l’Etat français lors de la Shoah. Que c’est l’affaire Dreyfus qui a accouché du régime de Vichy, celui-là même qui a décrété  le « Statut des Juifs » et qui les a envoyés à la mort dans les camps nazis.

Mais l’affaire Dreyfus a aussi accouché d’un autre enfant : l’Etat d’Israël. 

Le scandale Tariq Ramadan

Le scandale Tariq Ramadan n’est pas fait pour conforter l’image d’Edgar Morin, ce penseur juif qui a cessé de réfléchir par haine de soi. Il aurait été préférable que Ramadan tombe sur ses idées plutôt que sur son comportement avec les femmes.

Ce qui est agaçant c’est qu’il a fallu attendre ce scandale pour s’apercevoir que Ramadan était infréquentable. Un élémentaire bon sens aurait pourtant suffi pour trouver que Morin se fourvoyait en accordant du crédit à cet islamiste, compagnon de route du Hamas et petit-fils du fondateur des Frères Musulmans auquel il a consacré une thèse dithyrambique. Sans parler de sa chaire bidon, qui n’est autre qu’une excroissance en dollars du Qatar, cette belle démocratie, en plein milieu d’Oxford.

Morin expliquait cette semaine que Ramadan avait assuré à Madame Morin qu’il était toujours correct avec les femmes. Dont acte. C’est probablement sur base de cela que Morin a déduit que Ramadan devait aussi être correct avec les Juifs. Le problème c’est que Ramadan avait omis de mentionner que les femmes qui se maquillaient et qui n’étaient pas voilées devaient être considérées comme des putes, conformément à sa vision du monde. A chacun ses principes, mais quand bien même cela serait, je ne vois pas en quoi les putes n’auraient pas droit au même respect que n’importe quel autre être humain, mais c’est un autre débat.

Tariq Ramadan n’a peut-être jamais tué personne, mais c’était également le cas de nombreux prédicateurs nazis. Sa chute fait penser au Chicago d’antan: échappant à la justice en tant que gangster, Al Capone a fini par trébucher sur une minable fraude fiscale.

Lucy Aharish or Israel’s Pasionaria

Lucy Aharish is a symbol of paramount importance to Israel. This charismatic, eloquent, courageous and smart intellectual is a graduate of political science and journalism, and leads a brilliant career as a columnist in several media, among which I24 News. Her appearances fascinates viewers who often learn more from her about Israeli reality that from the versatile press where commentators  mainly compete between them with slogans.

When asked to define her identity, Aharish says she is an Israeli, a woman, an Arab and a Muslim, “in that order,” she emphasizes. But when compelled to respond more accurately she exclaims she is “neither an Arab nor a Jew. Neither Christian, nor Muslim nor Druze nor Buddhist nor Circassian. Neither left nor right. Neither religious nor secular. That she doesn’t want to see children kidnapped and murdered. That she doesn’t want to see children burnt to death. That she doesn’t want to hear sirens or see missiles launched … That she wants us to open our eyes to the rage and hatred that are eating us alive.”

Aharish’s tone, freshness and fervor is unprecedented in Israeli media. Despite the prejudices that could have hindered her way up, she managed to overcome them through years of work and perseverance. During her shows she challenges her guests with both disarming and insightful style, whether they are Hamas representatives, Jewish fundamentalists or prominent Americans. She does it in their native languages, which she masters to perfection.

Aharish stresses she represents herself only. She claims she is an Arab Muslim, but refuses to be locked into clichés. On the one hand, she vigorously slams Palestinian leaders’ strategy, which she deems a non-starter, but, on the other hand, she strongly criticizes the discrimination of Israeli Arabs.

Israel is home to this lady just like it is for millions of Arab and Jewish citizens. But Aharish is neither suicidal nor quixotic. She comes across flamboyantly on the Israeli public arena, she is talented and bright, so she is unlikely to let herself corner if she realizes that her struggle may lead to a dead end.

Aharish is under relentless attack by a certain right, a certain left and also from many Arabs. As she is a unique asset for Israeli society, it would be a considerable waste if she chose to leave Israel in order to get away from domestic hostility.

This does not take away that many Israelis admire her, support her and approve of her stance. If she decided to leave it would be a very bad sign for the Israeli democracy. This ambitious woman is far from having deployed her full potential, so if she nevertheless felt an urge to go abroad, it might be a good idea for the government to offer her the position of Israel’s ambassador at the United Nations.

Lucy Aharish ou la pasionaria d’Israël

Lucy Aharish est un symbole de première importance pour Israël. Diplômée de sciences politiques et de journalisme, cette jeune intellectuelle est charismatique, éloquente, courageuse et intelligente. Elle mène une brillante carrière de chroniqueuse dans plusieurs médias, dont I24 News. Ses interventions prennent les téléspectateurs aux tripes et nous apprend souvent plus sur la réalité israélienne que cette presse versatile où journalistes de tous bords se font concurrence à coups de slogans.

Quand on lui demande de définir son identité elle répond qu’elle est israélienne, femme, arabe et musulmane, “dans cet ordre”, précise-t-elle. Mais quand on la pousse dans ces retranchements, elle finit par s’écrier qu’elle “n’est ni arabe ni juive ni chrétienne ni musulmane ni druze ni bouddhiste ni circassienne ni de gauche ni de droite. Qu’elle en a assez de voir des enfants enlevés, assassinés ou brûlés vifs. Qu’elle ne veux plus entendre hurler des sirènes ni voir des missiles déchirer le ciel. Qu’il faut prendre conscience de cette rage et de cette haine qui est en train de nous détruire.”

Aharish a un ton, une fraîcheur et une intensité sans précédent dans le monde médiatique israélien. Malgré les préjugés qui auraient pu entraver son ascension, elle a réussi à s’imposer à force de persévérance. Lors de ses émissions elle interpelle avec un naturel désarmant et incisif aussi bien des représentants du Hamas que des fondamentalistes juifs que des personnalités américaines, le tout dans leurs langues respectives, qu’elle maitrise à la perfection.

Aharish prend soin de ne représenter qu’elle-même. C’est une arabe musulmane mais elle refuse de se laisser enfermer dans des clichés. D’une part elle ne craint pas de critiquer la politique des dirigeants palestiniens, dont elle estime qu’elle ne mène à rien, et d’autre part elle fustige la discrimination que subissent les arabes d’Israël.

Israël est la maison de cette femme sans peur et sans reproche, tout comme celle de ses millions de concitoyens arabes ou juifs. Mais Aharish n’est ni suicidaire ni donquichottesque. Elle évolue avec panache dans l’espace public israélien, mais c’est quelqu’un de talentueux et de brillant qui ne se laissera pas consumer si son combat mène à l’impasse.

Elle constitue un atout unique pour la société israélienne, or ce serait un immense gâchis si d’aventure elle choisissait de s’expatrier pour échapper à l’hostilité de certains milieux. Elle est en effet la cible à la fois d’un certaine droite, d’une certaine gauche et de beaucoup d’arabes toutes tendances confondues.

Cela n’empêche pas de nombreux israéliens d’être subjugués lors de ses interventions publiques. Si un jour elle décidait de partir sous d’autres cieux ce serait très mauvais signe pour Israël. Cette femme ambitieuse est loin d’avoir déployé tout son potentiel, alors si malgré tout elle éprouvait le désir de s’éloigner alors ce serait peut-être une bonne idée de lui proposer le poste d’ambassadeur d’Israël à l’ONU.

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