Christine Ockrent et Israël ou l’art de choisir son camp

La journaliste Christine Ockrent occupe depuis des décennies une position médiatique dont la stabilité a fini par produire un effet particulier : son discours n’est plus perçu comme une voix parmi d’autres, mais comme une grille de lecture préalable. Présentée comme experte des relations internationales, régulièrement invitée, souvent citée comme référence, elle intervient depuis un espace d’autorité où chaque propos contribue à structurer la compréhension d’un événement. Dans un tel cadre, lorsque sa parole s’éloigne des faits, il ne s’agit plus d’une approximation ponctuelle : c’est une redéfinition du réel. Et dans le cas du conflit israélo-arabe, cette redéfinition suit une orientation constante.

L’épisode de l’émission sur France 2 Quelle Époque ! du 22 novembre en offre une démonstration dépouillée de toute ambiguïté. S’adressant à l’image de Benjamin Netanyahou, Ockrent lance : « Quand allez-vous finir de faire la guerre au Liban, en Syrie, et même à Gaza ? »

La structure de la phrase ne laisse pas de place à l’incertitude : Israël est présenté comme initiateur d’une triple offensive. La question n’interroge rien : elle impose une conclusion. Elle opère un déplacement brutal des responsabilités, identique à celui que l’on retrouve dans les discours produits par les acteurs hostiles à Israël. Ce n’est pas un commentaire maladroit : c’est la reprise, sous forme condensée, de leur narration.

Le Liban, pourtant terrain d’actions constantes menées par le Hezbollah ; la Syrie, engagée depuis des décennies dans des conflits directs avec Israël ; Gaza, sous le contrôle du Hamas, dont l’idéologie et les actions armées sont connues : tout cela est retiré du cadre qu’elle propose. Les faits ne sont pas nuancés : ils sont effacés. Israël apparaît comme la source unique de la violence ; ceux qui le visent disparaissent de la scène.

Une telle mécanique n’a rien d’innocent. Elle correspond mot pour mot au procédé rhétorique employé par les ennemis d’Israël pour délégitimer sa politique de défense. En adoptant ce cadre sans distance, Ockrent ne se situe plus dans l’espace du traitement journalistique, mais dans celui d’une construction narrative alignée sur les intérêts politiques de ceux qui s’opposent à l’existence, à la sécurité ou à la légitimité d’Israël.

Cette logique apparaît de manière répétée dans ses prises de position publiques. Elle suit un schéma identifiable : Israël est isolé comme agent principal des tensions ; les acteurs qui lui sont hostiles voient leurs responsabilités dissolues dans des contextualisations, des atténuations ou des omissions. Rien n’explique cette constance par un simple désaccord ponctuel. Cette constance, rigoureuse, régulière, méthodique, installe une orientation: celle qui alimente, renforce ou légitime la narration hostile à Israël.

Ce qui frappe dans le traitement du Liban, de la Syrie ou de Gaza, ce n’est pas seulement ce qui est dit, mais ce qui est escamoté. La structure du discours repose sur une série de retraits, de réductions, de suppressions de faits pourtant accessibles. Une fois ces éléments soustraits, le décor ainsi obtenu correspond à celui que tentent de maintenir les organisations et États engagés contre Israël : Israël isolé, Israël accusé, Israël privé du contexte de légitime défense qui accompagne son existence depuis 1948.

Il devient alors légitime de dire que par ses formulations, Ockrent prend parti. Son discours, dans sa structure même, s’aligne sur ce camp, qu’il en reprend les éléments essentiels, qu’il en renforce la cohérence narrative. Ses propos participent à la délégitimation d’Israël et offrent, de fait, un relais discursif aux positions de ses ennemis.

À ce stade, il devient difficile de la considérer comme une interlocutrice engagée dans le cadre d’un débat pluraliste. Son discours ne vise pas à éclairer les faits, mais à les redistribuer selon un schéma qui attaque l’Etat d’Israël et neutralise l’action de ceux qui le combattent. Elle n’occupe plus l’espace d’une analyse contradictoire : elle projette une narration dont les effets se situent du côté de ceux qui s’opposent à l’existence de l’État juif.

Ce travail discursif, qui agit par soustraction, par cadrage, par répétition, n’est pas un simple exercice rhétorique. Il a un impact sur la manière dont le public perçoit le conflit. Lorsqu’une figure jouissant d’une telle légitimité reprend, même indirectement, la structure du récit du camp hostile à Israël, elle modifie le terrain même de l’interprétation. Elle ne commente pas un conflit : elle contribue à redessiner la carte morale selon laquelle ce conflit est jugé.

Et c’est ce déplacement — froid, régulier, méthodique — qui permet d’affirmer que, par ses propos, Ockrent prend parti. Son discours  suit avec exactitude la logique du camp hostile à l’État juif : effacement des agressions subies, renversement des responsabilités, mise en accusation d’Israël, réhabilitation implicite de ses ennemis. Dans un conflit où la perception du réel conditionne la compréhension même du droit à l’autodéfense, un tel alignement ne peut être réduit à du journalisme. Il constitue une faute morale consistant à contribuer, par le prestige de sa parole, à affaiblir la légitimité d’un État menacé d’éradication et à renforcer de fait la cohérence du discours de ceux qui y aspirent.

À ce stade, il n’y a plus de malentendu possible : dans sa manière de raconter le conflit, Ockrent a choisi son camp. Et ce n’est pas celui des Juifs.

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