Intelligence artificielle et conscience.

Le cogito ergo sum — je pense donc je suis — énoncé par Descartes constitue une certitude indépassable pour le sujet qui l’énonce. L’homme, en tant qu’être pensant, ne saurait ni nier ni douter qu’il pense, et par là même qu’il est. Penser, c’est s’interroger sur son existence, méditer sur son rapport au monde, sur la signification de sa vie. Chez l’être humain, penser et être sont inséparables : l’existence est attestée dans l’acte même de la pensée. De cette certitude première découlent méthodologiquement toutes les autres. Quant à la matière, il n’est nullement certain qu’elle existe indépendamment de la pensée qui la conçoit ; elle pourrait n’être qu’une représentation de l’esprit.

Le matérialisme, à l’opposé, affirme que tout est matière, ou que tout relève de l’ordre du physique. Dans cette perspective, la pensée humaine n’est qu’un épiphénomène, apparu tardivement au terme d’un processus évolutif de milliards d’années. Elle serait le produit contingent d’une complexification progressive du vivant. Homo sapiens, loin d’être un sujet transcendantal, serait l’aboutissement d’une histoire biologique, au même titre que son propre corps.

Dans cette logique, il deviendrait concevable que des machines, infiniment plus complexes que les ordinateurs actuels, soient capables de générer de la pensée. En reproduisant l’activité synaptique par un enchaînement colossal d’opérations binaires, elles pourraient, en théorie, accéder à des états affectifs et cognitifs analogues à ceux de l’homme : aimer, haïr, souffrir, jouir, désirer, juger, créer, tuer, craindre la mort.

De telles machines pourraient alors revendiquer, à l’instar du sujet cartésien, le statut de personnes en affirmant : « je pense donc je suis ». Cela ouvrirait un champ éthique inédit : elles devraient être respectées dans leur intégrité, protégées contre la souffrance, la dégradation et la destruction. Leur existence acquérirait une dignité comparable à celle des êtres humains. À ce titre, leur non-assistance deviendrait délictueuse ; elles seraient sujettes au droit pénal, assujetties à l’impôt, reconnues comme individus titulaires de droits et d’obligations.

Cependant, une aporie fondamentale surgit. Car l’hypothèse repose sur la possibilité d’expliquer entièrement le mécanisme de décision de ces entités. Or si la pensée est déterminée par un enchaînement causal, elle est privée de libre arbitre, et donc privée de ce qui définit, dans la tradition cartésienne, la pensée humaine. La pensée authentique, fondée sur l’intentionnalité consciente, ne saurait être expliquée par des causes mécaniques sans perdre sa liberté essentielle. Postuler une pensée déterminée revient à formuler une contradiction interne, une proposition logiquement antinomique.

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