Écologisme et antisémitisme : les liaisons dangereuses

À première vue, il peut sembler absurde de lier écologisme et antisémitisme. Le premier prétend œuvrer au salut de la planète, le second s’acharne contre les Juifs. L’un se présente comme un combat progressiste, l’autre comme une constante mal refoulée de la conscience européenne. Et pourtant, dans un nombre croissant de discours, de prises de position et de manifestations écologistes, surgit une hostilité envers Israël, glissant vers un antisémitisme à peine voilé. D’où vient cette convergence? Et que révèle-t-elle de l’écologisme, devenu une idéologie globale, totalisante, totalitaire ?

Il existe une différence de fond entre l’écologie, science de l’interdépendance des vivants et des écosystèmes, et l’écologisme, idéologie politique. Ce dernier s’est greffé aux luttes d’extrême gauche, épousant le lexique du post-colonialisme, de la lutte des races, de l’intersectionnalité et de la dénonciation de l’Occident. Dans ce cadre, Israël fait figure de coupable idéal. État occidental au Moyen-Orient, militarisé, technologique, et en conflit avec un peuple présenté comme indigène, il devient la cible naturelle des mouvements écologistes.

Après le 7 octobre Greta Thunberg publiait une photo d’elle avec un panneau « Stand with Gaza », flanquée d’une amie tenant une pancarte au slogan codé « from the river to the sea », cri de ralliement des mouvements islamistes et antisionistes. Face au tollé, Thunberg essaie de corriger le tir, affirmant qu’elle condamne « toute forme d’antisémitisme », mais sans jamais revenir sur l’essence de ses propos¹.

De nombreuses branches du mouvement Fridays for Future prennent des positions très critiques contre Israël, exigeant la fin de « l’apartheid », la libération de la Palestine « de la rivière à la mer » et associant l’écologie à la « décolonisation du monde »².

Il y a dans certains discours écologistes un fond réactivé d’hostilité au Juif conçu comme figure du capitalisme et de la mondialisation. Le vieux stéréotype du « Juif apatride », mobile, commerçant, technologique, destructeur des liens traditionnels — que l’on trouve aussi bien dans les pamphlets d’Édouard Drumont que dans Mein Kampf — revient, sous une forme recyclée, dans la critique de la modernité capitaliste.

Israël, dans ce discours, incarne tout ce qu’il faut détester : la technologie avancée, l’agriculture hors-sol (goutte-à-goutte, serre, biotechnologies), l’innovation militaire, les accords internationaux. Le pays est perçu comme un prototype de la domination moderne du vivant, donc un ennemi de la Terre. La haine antisioniste, dans ce contexte, se présente comme une critique écologique : Israël volerait les terres et l’eau des Palestiniens, détruirait l’environnement, nuirait à la biodiversité³. La notion même de « colonialisme vert » a été utilisée contre lui, alors même qu’Israël est l’un des pays les plus en avance en matière de reforestation, d’économie d’eau et de traitement des déchets⁴.

L’idéologie woke a contaminé l’écologie politique. Il ne s’agit plus de lutter contre les émissions de carbone, mais de combattre une structure de domination globale qui englobe l’homme blanc, le patriarcat, le capitalisme, le colonialisme et… Israël. Dans cette vision, les Juifs — même persécutés — sont perçus comme « blancs », donc inclus dans le camp des dominants. L’intersectionnalité n’analyse plus les situations concrètes, mais range les individus dans des cases binaires : oppresseur/opprimé, blanc/non-blanc.

Le Juif, dès lors qu’il s’identifie à Israël, perd son statut de victime historique. Il devient un agent de l’oppresseur. Ce mécanisme explique pourquoi des militants écolos peuvent défiler aux côtés de partisans du Hamas, justifier les pogroms du 7 octobre 2023 au nom de la « résistance » et dénoncer Israël tout en gardant le silence sur les régimes les plus polluants et les plus répressifs de la planète⁵.

L’écologisme est devenu religieux. On sacralise la Nature, on diabolise l’Homme. Le capitalisme est le démon, Gaïa la divinité à apaiser. Ce néo-paganisme donne naissance à une vision apocalyptique du monde : la Terre est en péril, et ses ennemis doivent être dénoncés, expulsés du camp du Bien. Israël, pays productiviste, allié de l’Occident, armé et technologisé, devient le bouc émissaire de cette religiosité. Il incarne la « modernité maudite », le rationalisme destructeur, la puissance dominatrice. La haine d’Israël n’est plus politique : elle devient liturgique, eschatologique.

Le souci pour le climat, les ressources, les équilibres naturels ne devrait pas servir de prétexte à une idéologie qui prône la décroissance autoritaire, la surveillance sociale et la haine des Juifs. Certaines mouvances  écolo flirtent avec un néo-communisme vert, qui rêve de révolution, de renversement systémique, et s’allie à des mouvements totalitaires, du moment qu’ils sont « anticolonialistes ». On tolère les pires régressions pourvu qu’elles viennent du « Sud », tandis qu’on condamne avec Israël, présenté comme un concentré de tout ce que l’on hait : Occident, technologie, armée, tradition biblique, richesse.

Tous les écologistes ne sont pas antisémites, mais une part significative de l’écologisme radical fait preuve d’un antisionisme pathologique. Il ne suffit pas de se dire progressiste pour être du côté du Bien. Les mots d’ordre écologistes ne sont pas innocents lorsqu’ils s’inscrivent dans des logiques d’exclusion, de boucs émissaires, de croisades morales. Une écologie véritable, soucieuse du vivant, du réel, de l’universel, ne peut se permettre de sacrifier la vérité à l’idéologie, ni la justice à la haine.

Notes

  1. Voir la publication du 20 octobre 2023 sur le compte Twitter/X de Greta Thunberg, ainsi que ses explications données à The Independent le 23 octobre.
  2. Voir les déclarations officielles de Fridays for Future International et de ses antennes nationales, notamment Fridays for Future Canada (publication du 15 octobre 2023 sur Instagram) et FFF Germany (site officiel).
  3. Exemple typique : l’article « How Israeli Occupation Harms Palestinian Environment », Al Jazeera, 5 juin 2022.
  4. Israël est classé parmi les pays les plus avancés en matière de recyclage des eaux usées selon OECD Environmental Performance Review: Israel 2023.
  5. Voir la comparaison entre les émissions de CO₂ d’Israël (9 tonnes/hab) et celles de la Chine (plus de 10), de l’Inde ou des pays du Golfe, rarement critiqués dans les mouvements écolos internationaux.
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