Survol de Platon

La Philosophie

La philosophie émerge en Grèce et en Asie Mineure vers le VIème siècle avant J.-C. Bien qu’elle ne soit pas apparue ex nihilo, la pensée rationnelle et méthodique qu’est la philosophie est une innovation propre aux Grecs. Ce qui la distingue des traditions religieuses ou mythologiques d’autres civilisations, c’est que dès le début les philosophes ont cherché à expliquer le monde en ayant recours à la raison. La philosophie est une discipline intellectuelle qui se distingue des systèmes ésotériques et peut s’appliquer à  tous les aspects de l’entendement humain.

Platon

Platon est un philosophe grec du IVème siècle av. J.-C, considéré comme le penseur emblématique de l’idéalisme philosophique. Il est aussi le fondateur de l’Académie[1], l’archétype des universités occidentales, qui a perduré près d’un millénaire à Athènes.  On y enseignait la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, la politique et les sciences naturelles. L’objectif de l’Académie était de former les élites de la Cité.

La plupart des textes de Platon ont été rédigés sous forme de dialogues.  Le style est clair et d’une remarquable qualité littéraire. Au cours de ces dialogues les protagonistes cherchent à cerner la Vérité, avec la plupart du temps pour personnage central Socrate, le maître de Platon. Ils abordent les questions les plus fondamentales de la condition humaine, souvent de manière apparemment simple, mais qui, de réplique en réplique, ramène les interlocuteurs à l’essentiel.

« Le Banquet » de Platon est caractéristique de cette méthode. Au cours d’un dîner organisé par le poète Agathon à Athènes, chaque convive est invité à s’exprimer sur l’Amour. Quand arrive le tour d’Aristophane[2], il avance qu’à l’origine les humains étaient des créatures rondes à deux têtes, quatre bras, quatre jambes et deux organes sexuels. Ces êtres étaient parfaits, mais défiaient les dieux. Pour les punir, Zeus, le dieu suprême, décide de les séparer en deux moitiés. Depuis lors chaque être humain est à la recherche de sa « moitié » pour retrouver sa complétude.

Il y a une ressemblance manifeste entre cette fable et l’une des versions qui relate la création de l’Homme dans la Torah:

וַיִּבְרָא אֱלֹהִים אֶת־הָאָדָם בְּצַלְמוֹ בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ זָכָר וּנְקֵבָה בָּרָא אֹתָם

« Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa.[3] ».

Un commentaire rabbinique[4] en déduit que l’homme originel a été créé par Dieu avec deux faces, un côté masculin et un côté féminin, avant d’être séparé en deux êtres distincts.

רַבִּי יִרְמְיָה בֶּן אֶלְעָזָר אָמַר: בְּשָׁעָה שֶׁבָּרָא הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא אֶת אָדָם הָרִאשׁוֹן, אַנְדְּרוֹגִינוֹס בְּרָאוֹ, הֲדָא הוּא דִּכְתִיב  זָכָר וּנְקֵבָה בְּרָאָם

En dépit des apparences, il n’y a probablement pas de lien entre le récit d’Aristophane et celui de la Torah, parce que tous deux  renvoient à des mythes universels qui remontent à l’aube de l’humanité.

Le dualisme ontologique

Pour Platon il y a deux mondes. Le monde sensible, que nous percevons à travers nos sens, et le Monde des Idées, accessible uniquement par l’intellect parce qu’il se situe en dehors du temps et de l’espace. Le Monde des Idées est comparable à un moule qui serait le modèle de toute chose matérielle. Chaque objet n’est donc qu’un décalque renvoyant au Monde des Idées.

Par exemple, l’Idée du cercle est un ensemble de points équidistants d’un centre. Mais un anneau, ou même un cercle dessiné par un compas, n’est jamais qu’une approximation du cercle idéal. S’il n’y avait pas de monde sensible, s’il n’y avait pas d’Univers, cela n’empêcherait pas l’Idée du cercle d’être. Autrement dit l’Idée du cercle n’a pas besoin de support matériel.

Pour Platon l’Idée du Bien est la source de toute connaissance et peut être vue comme un principe divin à l’origine du monde. Dans un de ses derniers dialogues[5] Platon explique que le monde était initialement un chaos (Χάος) une masse informe avant que le Démiurge, sorte de dieu architecte, n’intervienne pour mettre de l’ordre (κόσμος) en l’aménageant sur le modèle du Monde des Idées. Là aussi il y a une ressemblance frappante avec la cosmogonie[6] de la Torah. Le récit de la Création dans la Genèse[7] parle d’un chaos précosmique, le Tohu-bohu (ְוְהָאָ֗רֶץ הָיְתָ֥ה תֹ֙הוּ֙ וָבֹ֔הוּ וְחֹ֖שֶׁךְ עַל־פְּנֵ֣י תְה֑וֹםּ), avant que Dieu ne donne de consistance  à l’Univers.

Le platonisme a longtemps dominé la pensée occidentale. Nietzsche disait que Le christianisme, c’est le platonisme du pauvre[8] (Das Christentum ist Platonismus für’s Volk.). On retrouve en effet dans la théologie chrétienne la distinction entre monde sensible et Monde des Idées sous forme de Monde Terrestre et Monde Céleste. C’est d’ailleurs ce qu’exprime Jésus en disant à Ponce Pilate « mon Royaume n’est pas de ce monde »[9].

Autre similitude, Platon enseigne que le corps est le tombeau de l’âme[10] à savoir une entrave à la pureté spirituelle. Dans le sillage de Platon, le christianisme met en garde contre les tentations de la chair qui perturbent la vie contemplative. C’est ainsi qu’avant de se tourner vers le peuple pour lui annoncer l’Evangile, Jésus jeûne pendant quarante jours en guise de rite de purification[11]. C’est  sur ce modèle que l’Eglise valorise l’ascèse. Il est vrai que Moïse jeûne lui aussi pendant quarante jours avant de recevoir la Torah[12],  mais il s’agit d’une préparation pour un événement unique, et ne doit pas inciter le peuple à l’ascèse.

Le monisme

Il existait à l’époque de Platon un courant moniste[13], dont l’atomisme de Démocrite[14], que l’on pourrait qualifier de libertaire dans une perspective moderne[15].

Pour Démocrite, l’univers est fait de particules qui se combinent de manière aléatoire, ce qui explique la diversité des phénomènes naturels. Il n’y a donc ni transcendance ni téléologie chez Démocrite, ce qui rend le monde dénué de sens et le Ciel vide. Il préconisait en conséquence une vie ataraxique, sans religion, loin de la Cité et sans craindre de la mort. Épicure, Lucrèce, Spinoza, Schopenhauer et Nietzsche s’inscrivent dans cette filiation. Épicure, en particulier, a formulé à  partir de la pensée de Démocrite une philosophie de la vie.

Aussi bien chez Platon que chez Epicure, il s’agit de renoncer à la vanité du monde, mais il y a une différence quant à la finalité. Chez Platon les citoyens sont au service de la Cité et rien ne doit jamais viser l’accomplissement personnel. L’épicurisme, en revanche, aspire au bonheur individuel et à la sérénité. Il prône une vie qui pourvoit aux désirs naturels et nécessaires et a pour valeur suprême l’amitié.

Les divergences entre Démocrite et Platon étaient profondes. Platon aurait même envisagé de faire brûler les écrits de Démocrite en raison de leur matérialisme radical. C’est dans ce sens que leur opposition peut être résumée à une confrontation entre matérialisme et idéalisme.

La Philosophie politique

Selon Platon, la seule vérité à laquelle l’homme est tenu d’aspirer est contenue dans la philosophie, puisque celle-ci  est fondée sur la raison. C’est dans ce sens que le mal n’existe pas et ne peut qu’être l’effet de l’ignorance. Maïmonide reprend cette idée dans le Guide des Perplexes[16], où il réfute la notion de mal comme force active. Pour Maïmonide, tout comme pour Platon et Aristote, seul le Bien existe, dans le même sens que l’obscurité n’existe pas : elle n’est qu’absence de lumière.

Platon développe sa vision politique dans La République, ensemble de dialogues répartis sur dix livres.  C’est là que se trouve la fameuse Allégorie de la Caverne, introduction au dualisme ontologique.

Il s’agit d’un dialogue où le narrateur imagine des prisonniers enchaînés au fond d’une caverne, qui ne voient que le mur qu’ils ont en face d’eux. Hors de leur champ de vision il y a un feu qui projette sur ce mur les ombres d’objets agités par des personnages dissimulés. Les prisonniers prennent ces ombres pour la réalité. Un jour, l’un d’eux se libère de ses chaines. Il se dirige vers la lumière et découvre le feu et les personnages qui l’alimentent. Ensuite il sort au grand jour, et bien qu’ébloui par le soleil il s’adapte peu à peu et prend conscience du fait que les ombres de la caverne n’étaient pas la vérité du monde. Elles en étaient, littéralement, l’ombre

La caverne représente le monde où les hommes sont limités par ce que leurs sens leur révèlent. Les chaînes symbolisent l’ignorance, tandis que les ombres représentent ce que les hommes prennent pour la réalité. Le prisonnier libéré incarne le philosophe qui découvre le monde Idéal en sortant de la caverne. L’ayant trouvé, il retourne sur ses pas et prend sur lui de montrer la voie aux prisonniers, peut-être au péril de sa vie. Il y a une analogie frappante entre cette scène mythique et l’épisode de la Torah au cours duquel le prophète Moïse redescend du Mont Sinaï pour apporter la Loi au peuple Juif.

Platon compare la Cité à un navire. Le capitaine doit être sélectionné pour son expertise et sa sagesse, et non pas pour sa popularité auprès de l’équipage.  Dans le même ordre d’idées, la Cité doit être dirigée par un roi-philosophe, seul à posséder les qualités requises pour une gouvernance éclairée.

L’autorité du roi-philosophe doit être absolue. Ce qui importe le plus c’est qu’il n’y ait personne, ni homme ni femme, qui échappe à l’autorité d’un chef et qu’en temps de paix comme en temps de guerre, tout le monde le suive et se laisse gouverner par lui, jusque dans les plus petites choses[17].

La classe dirigeante  peut  mentir quand il s’agit de l’intérêt de l’État. Ce type de mensonge est réputé « noble » : si celui qui a l’autorité ment pour le bien de la cité, en trompant ses ennemis ou ses concitoyens dans l’intérêt de la communauté, on peut dire qu’il agit correctement ; tandis que si un citoyen en particulier ment à l’autorité, nous dirons que cela constitue une faute[18].

Maïmonide, qui connaissait Platon à travers Aristote: la Torah invite le commun des mortels à croire certaines choses dont la croyance est nécessaire pour la bonne marche de la société, comme par exemple que Dieu est irrité contre ceux qui lui désobéissent, et qu’il faut donc le craindre, le respecter et s’abstenir de le contrarier[19]. Il faut distinguer entre croyances “vraies” et croyances “nécessaires”[20]. Afin que la foi des gens simples se maintienne, la Torah permet qu’ils observent les Commandements dans l’espoir d’une récompense et s’abstiennent de pécher par crainte de la punition [21].

La classe dirigeante doit vivre en communauté, n’avoir ni propriété privée ni famille pour éviter les conflits d’intérêts.

La Cité doit exercer un contrôle strict sur  l’éducation des enfants.  L’art et la poésie sont mal vus parce que ces disciplines cultivent les émotions au lieu de la raison[22]. Les plaisirs des sens sont à proscrire : L’âme pense mieux lorsqu’elle n’est troublée ni par la vue, ni par l’ouïe, ni par là douleur, ni par la volupté[23]

La Cité doit garantir la pureté de la race dans les classes dirigeantes. Seuls les citoyens physiquement et moralement parfaits sont autorisés  à  se reproduire et les mariages doivent être arrangés en fonction de critères eugéniques. Les enfants doivent être élevés en collectivité et ne peuvent jamais connaître leurs parents biologiques.

La Cité doit sur s’aligner sur le Destin, qui lui-même relève du Monde des Idées.  Les lois naturelles, morales et sociales sont consubstantielles au Cosmos[24] et ne peuvent être modifiées. C’est le sens des tragédies grecques qui mettent en scène les violations de l’ordre cosmique par les hommes. Ceux en proie à l’Hubris[25] qui tentent de défier le Destin doivent en payer le prix.

La conception élitiste de Platon de la chose publique peut être comprise comme préfasciste. Karl Popper[26] rendait Platon responsable du stalinisme et du nazisme en démontrant qu’il avait fondé une idéologie de société fermée et anti-démocratique[27].

La Démocratie

« L’apologie de Socrate » est un dialogue où Platon rapporte le procès de son maître. Ce texte est exceptionnel par sa qualité littéraire et son intensité dramatique. Platon y relate de quelle manière Socrate se défend de l’accusation de corrompre la jeunesse en l’incitant au doute philosophique. Le tribunal lui reproche aussi de vouloir introduire de nouvelles divinités dans la Cité[28].  Mais Socrate est déterminé; il  fait preuve d’une intégrité morale et d’une honnêteté intellectuelle inébranlable. Au cours du procès, ses disciples craignent pour sa vie et l’adjurent de tout faire pour obtenir la clémence des jurés. Mais Socrate choisit de mourir plutôt que de renier ses convictions. Bien qu’il trouve la sentence injuste, il n’essaie pas d’y échapper.  Dès lors que le procès s’est déroulé de manière régulière il estime qu’il est de son devoir, en tant que citoyen,  de s’y soumettre.

Après avoir vu son maître condamné à mort par un système où la majorité est la mesure de toute chose, Platon conclut que la démocratie n’est ni juste ni rationnelle, parce qu’elle est sujette à l’inconstance des citoyens. L’idée que la  gouvernance puisse être dépendante d’une opinion majoritaire est une mauvaise conception de l’égalité. Cela met le peuple à la merci de démagogues qui au moyen de la rhétorique finissent par conduire la Cité à l’anarchie.

Dans un passage du dialogue  Gorgias [29], Socrate demande à un sophiste de définir ce qu’est la rhétorique. Celui-ci répond qu’il s’agit de l’art de convaincre. Poussé dans ces retranchements, le sophiste finit par admettre qu’il s’agit d’un procédé et non pas d’une démonstration. Socrate en conclut que la rhétorique ne contribue pas à la recherche de la vérité.

Considérons ce passage de « La République » où Platon critique « l’insatiable désir de liberté » suscité par la démocratie[30]. Il est saisissant d’actualité par sa mise en garde contre un usage excessif de liberté sous pression de l’air du temps. C’est la porte ouverte au relativisme juridique et à la dévalorisation des normes :

N’est-il pas inévitable que dans une pareille cité l’esprit de liberté s’étende à tout ? Qu’il pénètre dans l’intérieur des familles, et qu’à la fin, l’anarchie gagne jusqu’aux animaux ? Que le père s’accoutume à traiter son fils comme son égal et à redouter ses enfants, que le fils s’égale à son père et n’a ni respect ni crainte pour ses parents, parce qu’il veut être libre, que le métèque devient l’égal du citoyen, le citoyen du métèque, et l’étranger pareillement. Or, vois-tu le résultat de tous ces abus accumulés ? Conçois-tu bien qu’ils rendent l’âme des citoyens tellement ombrageuse qu’à la moindre apparence de contrainte ceux-ci s’indignent et se révoltent ? Et ils en viennent à la fin, tu le sais, à ne plus s’inquiéter des lois écrites, afin de n’avoir absolument aucun maître. Eh bien ! C’est ce gouvernement si beau et si juvénile qui donne naissance à la tyrannie. Ainsi, l’excès de liberté aboutit à un excès de servitude, et dans l’individu, et dans l’État.

Bien qu’à notre époque la technologie permette de sonder l’opinion publique de manière quasi instantanée, il faut avoir à l’esprit que les tendances fortes de la société ne sont ni forcement éthiques ni forcement raisonnables ni forcement durables. L’opinion majoritaire ne saurait constituer la boussole de la Loi.

Le référendum, forme de démocratie directe, peut être utile pour vérifier si le pouvoir en place est en phase avec le peuple, mais le recours à ce type de consultation ne doit  jamais tourner au plébiscite.

Tocqueville[31] met dans en garde contre l’idée selon laquelle la majorité serait du côté de l’intérêt général ou de la justice ; autrement dit contre ce qu’il appelait la « tyrannie de la majorité » : Lorsqu’un homme ou un parti souffre d’une injustice, à qui voulez-vous qu’il s’adresse ? A l’opinion publique ? C’est elle qui forme la majorité. Au corps législatif ? Il représente la majorité et lui obéit aveuglément ; au pouvoir exécutif ? Il est nommé par la majorité. A la force publique ? Elle n’est autre chose que la majorité sous les armes[32].

La succession

Aristote, disciple de Platon, s’est distancié de l’utopisme de son maître et a développé une pensée plus en phase avec le réel. Sa doctrine du juste milieu prônait un système combinant monarchie, aristocratie et démocratie. Il soutenait l’initiative individuelle et considérait que l’épanouissement personnel était essentiel au bien commun.

La fresque du peintre Raphaël « L’École d’Athènes » qui se trouve au Vatican montre Platon avec le doigt levé vers le ciel, désignant le Monde des Idées, et Aristote, la main dirigée vers la terre, symbolisant le monde des hommes, le seul que nous pouvons connaître un peu.

**

[1] Référence au lieu-dit ou fut crée l’école de Platon. Akademos est le nom  d’un héros de la mythologie grecque.

[2] Poète comique et dramaturge grec contemporain de Platon.

[3] Genèse 1:27

[4] Bereshit Rabba 8:1

[5] Le Timée, dialogue de Platon où il est question de l’origine de l’univers, de l’homme et de la société.

[6] Récit mythologique qui décrit ou explique la formation du Monde.

[7] Genèse 1:2

[8] « Par-delà bien et mal », publié en 1886.

[9] Evangile selon Saint-Jean 18:36

[10] Dialogue « Phédon »

[11] Matthieu 4:2

[12] Exode 34:28

[13] Doctrine qui contrairement au dualisme postule que le monde peut être réduit à un principe unique.

[14] Philosophe grec contemporain de Platon.  Matérialiste en raison de sa conception de l’Univers.

[15] Vision de la société où la liberté individuelle prime, où l’Etat peut être remis en question.

[16] Le titre en français est « Guide des Egarés », mais le « Guide for the Perplexed » en anglais est peut-être plus conforme à l’intention de Maïmonide.  L’original est en arabe.

[17] « La République », Livre V.

[18] « La République », Livre III.

[19] Maïmonide, Guide des égarés, livre III, Chap. 28.

[20] Idem.

[21] Exégèse de la Mishna, Traité Sanhedrin, Chapitre Helek.

[22] Georges Leroux, professeur de philosophie et écrivain québécois.

[23] Dialogue « Phédon ».

[24] Cosmos signifie ordre  en grec.

[25] Sentiment d’orgueil qui pousse à la démesure. L’orgueil qui précède la chute.

[26] Philosophe des sciences du XXe siècle.

Démocrite dénonce le traitement inhumain des esclaves:

[27] Ibid

[28] Socrate invoquait le Daemon, voix intérieure qui lui inspirait son jugement

[29] Dialogue de Platon au cours duquel Socrate débat avec trois sophistes.

[30] République VIII, 5562 b.

[31] Ecrivain, historien, académicien, philosophe et homme politique français.

[32] « De la démocratie en Amérique » chap. VIII.

Macron, frère du Liban

Le Président Macron, en difficulté manifeste dans son propre pays, essaie maintenant de se donner une stature internationale en soutenant la guerre lancée par le Liban contre Israël  il y a 76 ans.

Galvanisés par l’odeur du sang du 7 octobre, les Libanais envoient depuis ce massacre un déluge d’engins de mort sur la Galilée. Plus de 70.000 Israéliens se sont vus contraints, la mort dans l’âme,  de quitter leur coin de paradis, devenu un coin d’enfer.

Il y a quelques jours un haut dignitaire libanais a été éliminé par Tsahal au moyen d’un tir ciblé. Ce monstre était responsable de nombreuses tueries, dont l’assassinat à Beyrouth de 58 militaires français en 1983. Distrait comme il est, on ne sait pas si Macron a envoyé des condoléances aux proches, mais on peut l’imaginer. On peut tout imaginer avec cet homme sans foi ni loi, qui plaint les Libanais des dégâts qu’ils subissent par l’effet boomerang de leur pathologie antisémite. Belle illustration de cette histoire de l’enfant qui tue ses parents et qui demande ensuite au tribunal la clémence au titre d’orphelin.

Macron adjure  les responsables libanais de rechercher la voie diplomatique pour obtenir un permis de tuer à condition qu’on empêche les Juifs de se défendre. Il assure les libanais, criminels ou pas, de ses  sentiments fraternels.

Il estime peut-être que la guerre n’est pas inéluctable, dans ce sens que si les Juifs disparaissaient le conflit n’aurait plus  d’objet. Mais là aussi il se trompe : on peut parfaitement en vouloir aux Juifs après les avoir tués. Il y a six millions de preuves.

C’est l’affaire des Français que de supporter un Président impopulaire, incompétent, toxique, narcissique et bête à mourir. Mais quand il refuse de se joindre à une manifestation contre l’antisémitisme, quand il interdit à des Israéliens la participation au Salon de la Défense à Paris et quand il soutient le Liban dans sa rage d’éradication d’Israël, alors cela devient l’affaire des Juifs.

De tous les Juifs, et même de ceux qui ne le sont pas. De tout le monde, en somme.

Le droit de manifester : un privilège pour certains. Par Sacha Horowitz

Les démocraties libérales, ou supposées telles, ont connu de curieux développements depuis plusieurs décennies en matière du droit de manifester. Certaines causes bénéficient  de largesses suspicieusement généreuses de la part des gouvernements, tandis que d’autres, tout aussi paisibles, sinon plus, sont sévèrement limitées, critiquées et parfois sanctionnées.

Pourquoi deux poids, deux mesures ? Probablement parce que certaines causes correspondent à l’idéologie des élites, et d’autres leur sont opposées. Le rapport avec l’état de droit est inexistant, il s’agit d’opportunisme et de partis pris.

Comparons deux événements majeurs des années Covid en Amérique du Nord : les manifestations et les émeutes suite à la mort de George Floyd et le mouvement des camionneurs canadiens.

Lors de la crise du Covid, le gouvernement canadien a décidé qu’il serait interdit aux camionneurs de traverser la frontière sans se faire vacciner. Cela en prétendant sans la moindre preuve que les vaccins empêcheront de faire circuler le virus, et en sachant que limiter le trafic de cette manière pénalisera l’économie. Les camionneurs ont protesté en bloquant certains axes routiers, arguant que chacun est libre de choisir d’appliquer un traitement médical ou de s’en abstenir.

Le gouvernement à riposté en gelant les comptes bancaires non seulement des manifestants, mais aussi des personnes ayant fait des dons importants. Le gouvernement canadien a invoqué la loi sur les mesures d’urgence, une loi datant de 1988, qui étendait les mesures prises en temps de guerre à toute situation jugée « urgente » par les élus. Cela, en soi, indique la direction dans laquelle ont évolué les démocraties postmodernes.

La loi sur les mesures de guerre avait été invoquée en 1970 pour permettre de libérer les otages pris par le Front de Libération du Québec, groupe séparatiste violent. Trudeau a cru bon d’utiliser la nouvelle loi, plus malléable, contre ceux qui bloquaient les routes pour s’opposer à une décision médico-politique dont le fondement scientifique était douteux .

À titre de comparaison, faisons un petit détour par les Etats-Unis. Après la mort de George Floyd, les manifestations Black Lives Matter, et les émeutes en particulier, ont fait 1 à 2 milliards de dollars de dégâts, avec 15 à 25 millions de participants. Une vingtaine de personnes sont décédées à cause des violences. Des bâtiments publics ont été incendiés, parfois en sachant que cela mettait en danger la vie de policiers. Aucune mesure financière n’a été prise contre BLM, leurs donateurs, ou leurs manifestants.

Les « convois de la liberté » canadiens ont eu selon les estimations des médias de 5000 à 18000 manifestants, et il n’y a eu pratiquement aucune violence, ni aucun dégât. Dans les deux cas cela s’est passé pendant la crise du Covid. Pour BLM, on a considéré qu’il fallait renoncer aux mesures Covid interdisant de se rassembler, alors qu’on avait annoncé que c’était essentiel pour « sauver des vies ».

Tout cela illustre comment un gouvernement occidental d’aujourd’hui peut utiliser une loi d’urgence prévue à l’origine pour la guerre dès qu’il annonce que la “sécurité nationale” est en jeu. Or, on sait que ce terme est une couverture pour la sécurité politique et idéologique du pouvoir en place. C’est aussi une manière détournée de désigner quelles manifestations sont approuvées ou indésirables.

De plus, il n’y a pas que les gouvernements qui peuvent restreindre les libertés. Des multinationales peuvent introduire des mesures plus ou moins arbitraires plus facilement que des gouvernements – mais parfois en connivence avec eux.  Cela se passe de mille-et-une manières, de manière sournoise, sans nécessiter de mécanismes de coordination explicites, puisque les acteurs partagent une même vision du monde politiquement correcte et craignent eux-mêmes d’être “canceled” par des hordes sur les réseaux sociaux ou leurs collègues s’ils ne marchent pas au pas.

Les grands réseaux sociaux ont ainsi un rôle particulièrement pernicieux puisqu’ils peuvent diminuer la visibilité de certaines idées en se servant de l’opacité de leurs algorithmes. Des banques décident parfois de geler le compte de certains clients dont l’activité politique ou médiatique ne plaît pas aux patrons.

Il n’existe pas aujourd’hui de mouvement social ou de courant politique influent capable de s’opposer efficacement à cette tendance. Les partis populistes dans différents pays occidentaux constituent une tentative de résistance. Or, étant en marge du système, ils sont torpillés par les médias et l’appareil d’État, complices de la problématique décrite plus haut.

Sacha Horowitz

Quelques idées pour l’avenir d’Israël

1        Le Président

Un régime présidentiel sera instauré. Le président aura les prérogatives d’un premier ministre, mais sera inamovible pendant la durée de son mandat, qui durera 6 ans. Il ne pourra exercer plus de deux mandats, qu’ils soient consécutifs ou non.  L’élection du Président se fera au suffrage universel à un tour. Il combinera les fonctions de chef d’État et celle de chef du gouvernement. Il aura le pouvoir de dissoudre le Parlement.

2        La Cour Suprême

L’essence de la Cour Suprême est d’être garante de la démocratie et de faire barrage à des abus éventuels.  Mais au fil du temps l’absence de Constitution a eu pour effet  de faire dévier la Cour Suprême de sa vocation première.  La prépondérance du conservatisme dans l’opinion publique  l’a conduite à se comporter comme une opposition progressiste. Par conséquent, aussi longtemps qu’il n’y aura pas de Constitution, les juges devront être nommés ou élus en fonction de leur sensibilité politique pour mettre fin à la fiction d’une neutralité imaginaire.

3       Tsahal

Il sera mis fin à l’exemption de service militaire pour raison idéologique, philosophique  ou religieuse. Il y aura cependant des exceptions pour les objecteurs de conscience. Ceux-ci feront l’objet d’examens concernant leurs convictions. En tout état de cause  les réfractaires au service militaire seront pénalisés au plan économique et social, certainement aussi longtemps qu’Israël sera en guerre ouverte ou larvée.

4        La Loi électorale

Le pays sera divisé en circonscriptions. Dans chacune d’elle des partis pourront présenter une liste de candidats à la Knesset.  Les électeurs  pourront indiquer leur préférence parmi les candidats de la liste qu’ils soutiennent.  Le seuil minimal pour chaque liste sera de 5 % dans chaque circonscription. Le vote sera obligatoire. Les élections se feront à un tour tous les  4 ans.

Les statuts des partis politiques devront être conformes à la « Déclaration universelle des droits de l’homme ». Aucun parti ne pourra avoir dans son règlement interne d’exclusion a priori de qui que ce soit.

5        Religion et Laïcité

L’Etat Israël est une république de tradition juive mais n’a pas de religion d’Etat. La vie publique doit être séculière. Il sera mis fin au monopole du rabbinat concernant ses prérogatives relatives au droit familial.

Les différents systèmes d’éducation auront l’obligation d’inclure dans leur programme un enseignement scientifique et culturel similaire à celui qui est prodigué dans les autres démocraties occidentales, de manière à préparer la jeunesse à son insertion dans la communauté nationale.

Le Ministère de l’Education prescrira la transmission des grands textes du judaïsme à tous les niveaux du système scolaire. Le sionisme fera partie du récit national.  Les communautés arabes, druzes, tcherkesses ou autres seront libres de dispenser un enseignement conforme à leurs traditions, mais dans le respect du caractère juif de l’Etat d’Israël.

6        Légitimité d’Israël

La légitimité éthique et juridique de l’Etat d’Israël a pour fondement le sionisme initié par Theodor Herzl. Cette légitimité a été ratifiée par la communauté internationale suite à la Déclaration Balfour[1], la Conférence de San Remo[2], la Commission Peel[3], la Résolution 181 de l’Onu[4], la Déclaration d’Indépendance[5], l’admission d’Israël aux Nations-Unies[6] et sa reconnaissance par la plupart des pays du monde. L’Etat d’Israël est l’aboutissement du projet sioniste sur base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

7        La Loi du Retour

La  Loi du Retour[7]  a pour vocation d’accueillir tout Juif désirant s’établir en Israël. Par cette disposition l’Etat d’Israël s’engage à accorder la citoyenneté et la résidence à tout Juif désirant immigrer, quelle qu’en soit la raison. La définition de « Juif » telle que formulée dans la Loi du Retour repose sur l’ascendance, mais l’Alyah  sera ouverte à toute personne exprimant le désir de partager la destinée du peuple juif. Le soin de déterminer qui est éligible à l’Alyah sera confié à un organisme d’Etat qui en décidera sur base d’une approche multifactorielle.

Il y a plusieurs communautés reconnues par le Ministère de l’Intérieur en Israël.  L’Etat donnera la possibilité à tout citoyen de changer de communauté pour s’intégrer à celle à laquelle il souhaite appartenir. Cette possibilité existe déjà dans une certaine mesure, mais elle passe par une conversion religieuse. Un volet séculier sera ajouté permettant la transition d’une communauté à l’autre.

8        L’Etat palestinien

Jusqu’en 1967 la Jordanie et la Cisjordanie ne formaient qu’un seul Etat. L’Etat d’Israël s’emploiera à rétablir cette configuration, tout en tenant compte des changements sur le terrain survenus depuis. Cela consistera à diviser la Cisjordanie en deux territoires en fonction de la sociologie des populations concernées. La partie majoritairement palestinienne retournera à la Jordanie et la partie majoritairement juive sera intégrée à Israël. Ni la plupart des Palestiniens ni la plupart des Juifs n’auront à se déplacer. Une frontière internationale serait convenue entre Israël et la Jordanie. Ce sera la fin du statut d’apatride des Palestiniens, qui redeviendront citoyens jordaniens comme ils l’étaient jusqu’en 1967.

9       Gaza

La bande de Gaza est souveraine depuis qu’Israël a quitté ce territoire en 2005. Malheureusement les Gazaouis ont considéré que la fin de l’occupation israélienne était une incitation à la guerre plutôt qu’à la paix, mais ils en ont payé le prix depuis. Le jour où cette population renoncera à l’aspiration à éradiquer l’Etat d’Israël, celui-ci ne s’opposera pas à ce que Gaza se constitue en Etat indépendant ou qu’il fusionne avec la Jordanie ou l’Egypte. Quoi qu’il en soit, l’avenir de Gaza est l’affaire des Palestiniens.

10  L’absence de Constitution

L’Etat d’Israël n’a pas de Constitution, bien qu’à sa fondation le gouvernement avait prévu une Assemblée constituante. Plusieurs obstacles ont rendu problématique la rédaction d’un Constitution, notamment l’opposition entre laïques et religieux et la spécificité de la minorité arabe. Depuis lors la Knesset a adopté des Lois Fondamentales comme cadre juridique. Celles-ci  n’ont pas la rigidité d’une Constitution et peuvent être amendées ou annulées de manière relativement simple. A noter que certaines démocraties occidentales n’ont pas de Constitution non plus, au lieu de quoi c’est essentiellement la jurisprudence qui fonde le droit. Israël pourrait s’en tenir à cette formule.

[1] Lettre ouverte signée par Arthur Balfour, secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, adressée à Lionel Walter Rothschild. Par cette lettre le Royaume-Uni se déclare en faveur de l’établissement en Palestine d’un projet national pour le peuple juif.

[2] Conférence internationale en avril 1920  a déterminé l’attribution des mandats de la Société des Nations, pour l’administration de trois territoires anciennement ottomans, dont  la Palestine.

[3] Commission d’enquête britannique en 1936 afin de proposer des modifications au mandat britannique en Palestine.

[4] Le plan de partage de la Palestine approuvé par l’Assemblée générale de l’ONU novembre 1947.

[5] La déclaration d’indépendance de l’État d’Israël au 14 mai 1948, dernier jour du mandat britannique sur la Palestine.

[6] L’Etat d’Israël est devenu le 59ème membre de l’Organisation des Nations unies le 11 mai 1949.

[7] La loi du retour votée en 1950 par le Parlement israélien garantit à tout Juif le droit d’immigrer en Israël.

L’Abbé Pierre en odeur de sainteté

Roger Garaudy est un philosophe français décédé en 2012. Il fut successivement communiste, antisémite, protestant, antisémite, catholique, antisémite, musulman, antisémite, négationniste, antisémite, révisionniste et antisémite.  En 1995  il publiait  « Les Mythes fondateurs de la politique israélienne[1] », ouvrage où il accusait les Juifs d’instrumentaliser la Shoah. Deux ans plus tard il était condamné pour contestation de crimes contre l’humanité, diffamation à caractère racial et incitation à la haine raciale.

Qui se ressemble s’assemble, dit l’adage. Garaudy avait donc tout naturellement l’Abbé Pierre[2] pour ami et frère d’armes dans son combat antijuif. Les deux avaient la passion antisémite chevillée au corps. Mais comme l’Abbé Pierre avait pour lui d’être une grande figure de la lutte contre la pauvreté, sa judéophobie passait pour un péché mineur, et peut-être même pour un péché mignon chez certains coreligionnaires.

Mais l’Abbé Pierre risque maintenant d’être  anathématisé du point de vue moral.  Selon un rapport d’Emmaüs il abusait systématiquement de la vulnérabilité de personnes avec lesquelles il venait en contact dans le cadre de ses charitables activités. Il donnait du pain en échange de faveurs sexuelles, sa vocation de sauveur étant plutôt de nature hormonale que chrétienne.

Suite au rapport d’Emmaüs, son directeur général confirme que l’Abbé Pierre était un prédateur sexuel. De nombreuses femmes, dont des mineures au moment des faits,  l’accusent de violences diverses et variées. Il s’avère que dès les années 1950 l’Abbé Pierre était déjà au cœur d’affaires de mœurs, notamment au Canada et aux États-Unis. A chaque fois elles étaient étouffées, notamment grâce au soutien discret de dignitaires de l’Eglise. Ces agressions ont duré un demi-siècle sans que personne ne s’en émeuve Urbi et Orbi.

Mais les choses ont changé, et la plupart des institutions liées au Mouvement Emmaüs prennent maintenant des mesures pour effacer la mémoire, et même le nom, de l’Abbé Pierre partout où cela dérange. Le scandale est avéré, et les regards sont désormais tournés vers ses victimes déclarées, en attendant que d’autres  se déclarent, ce qui ne saurait tarder.

Mais ce qu’il faut retenir de cette histoire, c’est que l’antisémitisme viscéral de l’Eglise catholique, apostolique et romaine dont l’Abbé Pierre était porteur, n’a jamais empêché ces mêmes institutions de le tenir en odeur de sainteté, alors que cela faisait des décennies que cette odeur était nauséabonde pour qui avait l’odorat un tant soit peu sensible.

***

[1] Chez « La Vielle Taupe », Editeur de l’ultragauche spécialisé dans des textes négationnistes.

[2] Cofondateur du mouvement Emmaüs, comprenant la Fondation Abbé-Pierre pour le logement des défavorisés.

Universalisme versus démocratie

Selon l’idéal universaliste, la division entre les hommes n’est qu’une dérive due à leur dispersion. Depuis l’aube de l’humanité, les sociétés se sont développées indépendamment les unes des autres et ont conçu des cultures, des langues et  des règles de vie distinctes. Les conflits et disparités de toutes sortes n’ont cessé de faire rage depuis la préhistoire. Mais en réalité ces affrontements ne sont que l’expression d’une dialectique dont la synthèse finira par mettre en évidence le sens de l’Histoire,  qui n’est autre que la paix universelle. L’idée qui sous-tend cette téléologie est que comme il n’y a qu’une seule espèce humaine, il n’y pas de raison pour que les hommes n’aspirent pas tous à la même chose.

Mais l’Homme universel n’existe pas.  Il n’y a point d’homme dans le monde, disait Joseph de Maistre[1], j’ai vu dans ma vie des Français, des Italiens, des Russes; je sais même, grâce à Montesquieu, qu’on peut être Persan; mais quant à l’homme je déclare ne l’avoir rencontré de ma vie; s’il existe c’est bien à mon insu ».

L’Homme universel est une abstraction qui ne tient pas compte du réel, de millénaires de culture, de civilisation, d’art et de traditions. L’universalisme aspire à remplacer cette diversité culturelle par une pensée unique issue du monde des idées postmodernes, qui privilégie les droits de l’homme au détriment du droit des peuples. Universalisme et démocratie ne sont donc ni synonymes ni interchangeables, et peuvent même être antagoniques.

Les peuples ont l’aptitude à décider de leur être de manière souveraine, indéterminée et tautologique, sans avoir à l’étayer ni même à se soumettre au tribunal de la raison. Le vocable Démocratie est composé du grec « δῆμος » (peuple) et « κράτος » (pouvoir). Pouvoir donc sur lui-même, de chaque peuple  en particulier, pétri de son histoire et de sa mémoire, qu’il entend pérenniser à côté des autres peuples, en bonne entente si possible. La démocratie est un contrat social spécifique à chaque peuple, dont le fondement moral et juridique est sa propre généalogie, et non pas une doctrine anthropologique indifférenciée.

L’universalisme est une idéologie à base de moraline[2] qui prétend réguler la vie sociale et politique au nom du bien commun, non pas celui du peuple, mais  de l’humanité toute entière.  C’était l’objectif du christianisme, de l’Islam, du communisme, du nazisme et maintenant du wokisme, avec le succès que l’on sait.

En conclusion, un commentaire de Yeshayahu Leibowitz sur l’épisode de la Tour de Babel  dans la Torah[3]:

« Il existe à notre époque une idéologie qui pousse  à l’uniformisation de la pensée. Selon cette conception  l’humanité ne devrait former qu’un bloc indifférencié et sans conflits. Mais en réalité il n’y a rien de plus dangereux que ce conformisme qui étouffe la pensée. On ne peut imaginer tyrannie plus absolue. La Torah nous explique que Dieu a empêché la construction de la Tour de Babel en créant une humanité faite de contradictions, de différenciations et de valeurs multiples pour lesquelles les êtres humains doivent lutter afin de faire barrage à l’enfer  d’un universalisme  fait d’uniformité[4] »

[1] Homme politique, philosophe, magistrat et écrivain français mort en 1821.

[2] Expression nietzschéenne ironique contre le politiquement correct.

[3] Genèse 11:1-9

[4] « Causeries autour de la lecture hebdomadaire de la Torah », Leibowitz

Schopenhauer ou l’esthétique du pessimisme

Arthur Schopenhauer est un philosophe allemand de la première moitié du 19ème siècle. Il se situe chronologiquement, et aussi philosophiquement, entre Kant et Nietzsche, en opposition radicale avec son contemporain Hegel, qui croyait en la finalité du monde. L’ouvrage principal de Schopenhauer  s’intitule « Le Monde comme volonté et comme représentation ».

Tout comme Kant, Schopenhauer considère que l’homme ne peut connaître la réalité du monde indépendamment de ce que ses sens perçoivent. Le monde lui  échappe, parce que la représentation qu’il s’en fait est subordonnée à ses capacités cognitives.

La seule chose dont nous en tant qu’hommes avons néanmoins une connaissance absolue, c’est notre propre existence. C’est parce que nous savons que nous existons que nous avons des désirs, et c’est parce que nous avons des désirs que nous souffrons. Le désir satisfait fait place aussitôt à un nouveau désir; le premier est une déception reconnue, le second est une déception non encore reconnue[1].  Parmi les désirs il y a l’amour, qui n’est que sublimation de l’instinct sexuel incitant l’homme à se reproduire, et donc à reproduire de la souffrance.  « La passion amoureuse n’a en vue que la procréation d’un individu de nature déterminée [2]».

Le désir est l’effet d’une Volonté à la fois omniprésente et intangible dans le Cosmos, qui est le moteur de tout ce qui existe et de tout ce qui persiste. La Volonté est l’essence du monde et nous anime en se travestissant en désir. Une fois que l’homme en prend conscience il peut y renoncer et atteindre non pas le bonheur, mais la sérénité. L’idéal serait  de mettre fin à l’humanité en s’abstenant de se reproduire. C’est dans ce sens que la philosophie de Schopenhauer est fondamentalement pessimiste.

Dans ces conditions la sagesse que propose Schopenhauer consiste à briser le cycle des désirs et des souffrances par le recueillement esthétique, et à se tourner vers l’art suprême qu’est la musique, qui permet d’accéder à l’âme sans détours. La musique est une métaphysique qui ouvre la voie à la contemplation et annule la  tragédie de la Volonté et donc celle de l’existence.

[1] Le Monde comme volonté et comme représentation (Die Welt als Wille und Vorstellung) à Leipzig en 1819.

[2] Ibid.

Günther Anders ou la honte prométhéenne

Günther Anders est un philosophe et essayiste juif de culture allemande, mort en 1992. Disciple de Husserl et de Heidegger, son œuvre est essentiellement une mise en garde contre la déshumanisation de l’homme par le progrès technique.  Son ouvrage principal s’intitule « L’obsolescence de l’homme ».

Dans cet essai Anders explique que l’humanité a créé des technologies si avancées qu’elles échappent au contrôle et à la compréhension du commun des mortels. Cet écart engendre un sentiment d’impuissance face à des objets qui semblent autonomes. Anders appelle ce sentiment la « honte prométhéenne ». L’homme se sent inférieur parce que la machine lui semble plus efficace, plus durable et plus sûre. Quand il constate les performances des machines il se met à vouloir augmenter son propre corps parce qu’il le trouve obsolète. Il voit la machine comme une divinité et cherche lui aussi à être illimité et reproductible. Alors que jadis les machines étaient censées aider les hommes, ce sont eux qui doivent maintenant s’aligner sur les machines. En déléguant la prise de décision à la technique, l’homme se dépouille graduellement de ses responsabilités et ses choix éthiques deviennent des choix électroniques.

L’angoisse d’Anders est plus que jamais d’actualité dans notre monde sous surveillance de l’intelligence artificielle et de ses algorithmes.

Hannah Arendt et la modernité

Hannah Arendt est une philosophe juive de culture allemande, décédée en 1975. Après avoir fui l’Allemagne nazie, c’est aux États-Unis qu’elle publia ses œuvres les plus connues, dont « La condition de l’homme moderne », essai de philosophie politique où elle analyse la nature de l’activité humaine dans le contexte de la modernité.

L’homme est un animal politique[1], dit Aristote.  Cela signifie que l’espèce humaine est la seule qui, grâce au langage, est à même de concevoir des lois qui ne relèvent pas de celles de la nature. Pour Luc Ferry l’homme est par excellence l’être d’antinature. Il n’est rien d’aussi peu naturel que le règne du droit comme il n’est rien d’aussi peu naturel que l’histoire des civilisations[2] ».

L’homme travaille pour assurer sa survie. Cette activité cyclique s’inscrit dans l’immédiateté et ne laisse pas de trace. Mais au-delà de ses besoins vitaux l’homme crée aussi une œuvre qui dépasse la nécessité et qui est  détachée de la Nature. L’art, et tout ce que fait l’homme de durable et qui n’a pas pour finalité d’être consommé, c’est ce qu’on appelle la culture, ferment de l’Histoire.

Chaque être humain porte en lui une œuvre, assure Proust.  Mais pour que l’homme puisse manifester à la fois son altérité et son désir  de socialisation, il lui faut une Agora[3] pour lui permettre de délibérer et d’agir. La politique, c’est cela.

Mais à notre époque la société de consommation a investi et métamorphosé la sphère publique. Celle-ci est devenue une grande famille aliénée qui glorifie le travail avec pour tout horizon un rêve de bazar et d’infinie abondance. L’homme moderne a troqué la politique contre des biens jetables. Le jour où l’automatisation et l’intelligence artificielle rendra le travail superflu, il n’y aura plus qu’une société de loisirs où des travailleurs sans travail mourront d’ennui.

Quand la sphère publique n’est plus qu’un forum au service de l’économie, la valeur travail prend le pas sur toutes les autres. La plupart des artistes eux-mêmes ne considèrent plus qu’ils créent, mais qu’ils travaillent, et leur  production n’est plus une œuvre, mais une marchandise.

Arendt ne traite pas explicitement du transhumanisme dans « La Condition de l’homme moderne », mais s’inquiétait dès les années 1950 des  velléités scientifiques visant à augmenter les capacités physiques et mentales de l’homme au moyen de la technologie.

***

[1] Aristote, « La Politique ». Maïmonide reprend cela mot pour mot dans son « Guide de Egarés ».

[2] Luc Ferry, « Le Nouvel Ordre écologique », 1992, Grasset.

[3] Dans la Grèce antique l’Agora était la place publique  où se tenaient les assemblées politiques, les débats et les échanges commerciaux.

L’avenir de la judéité

La transmission du savoir, et donc de l’Histoire, est antérieure à l’avènement de l’écriture, et est indissociable de la notion de civilisation. L’Histoire ne commence pas avec l’écriture, mais avec l’Homo Sapiens qui sait d’emblée que  l’homme pensant ne se réduit pas à ses déterminants physiques. L’Histoire,  c’est le magma des réminiscences transgénérationnelles qui se cristallisent au fil du temps et construisent une mémoire dans la conscience collective.

Les sociétés humaines se sont développées dans des environnements différents, ce qui explique leur hétérogénéité. Chaque homme est à la fois un individu et un maillon de la société dont il fait partie, qu’il construit avec ses semblables. C’est dans ce sens que l’Histoire est aléatoire et qu’il n’y a ni Homme universel ni valeurs universelles, et qu’il ne peut par conséquent  y avoir de civilisation universelle.  Les civilisations sont diverses, depuis toujours et pour toujours, et n’ont en commun que la volonté, aléatoire elle aussi,  de persister dans leur être sans qu’il y  ait à cette vitalité de substrat logique.

Michel Onfray[1] compare les civilisations à des organismes vivants qui naissent, croissent, atteignent un apogée, et meurent. Il considère que la civilisation occidentale, qu’il appelle judéo-chrétienne, est en train de dériver de son ancrage culturel au bénéfice d’un consumérisme à tous crins dont la seule loi semble être celle du marché. Il voit dans ce phénomène le  symptôme d’un déclin.

Concernant l’avenir de la judéité, il faut commencer par intérioriser que ni la vie humaine ni l’Histoire n’ont de sens, autre que celui que chacun veut bien lui donner. Les Juifs peuvent certes s’assigner un destin en tant que peuple, mais sans jamais considérer cela comme autre chose qu’une valeur, qui comme toutes les valeurs sont subjectives et reposent sur une tautologie.

Le projet sioniste des origines avait pour objectif de dissocier l’identité juive de toute transcendance. C’était l’idée théorisée par des penseurs comme Bialik[2] et Ahad Ha’am[3]. Ceux-ci craignaient paradoxalement que l’émancipation des Juifs au cours du 19ème siècle ne les conduise à l’abandon de la religion, à l’assimilation, voire à la conversion. Pour prévenir cette dilution ils ont mis en évidence l’idée que l’identité juive relevait avant tout d’une histoire multimillénaire, d’une terre, d’un corpus littéraire, d’une éthique et d’une langue, et non pas d’une religion.  Le retour à la souveraineté nationale du peuple juif avait donc dans leur esprit pour fonction de pérenniser la judéité, et non pas le judaïsme.

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[1] Philosophe, écrivain et essayiste français. Créateur de l’université populaire de Caen. Cofondateur de la revue « Front Populaire ».

[2] Poète de langue hébraïque, prosateur, essayiste et journaliste. Mort en 1927 à Vienne.

[3] Penseur nationaliste juif et leader des « Amants de Sion », mort en 1927 à Tel Aviv.  L’un des pères de la littérature hébraïque moderne.

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