Musique minimaliste, art mineur ?

Dans ma jeunesse, j’ai pratiqué la guitare classique, m’initiant aux suites pour luth de Bach, ainsi qu’aux transcriptions de ses œuvres pour violon et violoncelle. Ce fut pour moi l’occasion d’acquérir des rudiments de solfège, dont je n’ai conservé que des fragments. Je ne suis donc ni musicologue, ni expert : seulement un mélomane attentif, façonné par des années d’écoute.

Ma culture musicale s’est édifiée au fil de dizaines de milliers d’heures d’immersion dans ce que l’on nomme la musique classique, mais aussi dans les inflexions du folklore et de la liturgie ashkénaze. À l’inverse, la musique populaire m’est restée étrangère. Je la perçois moins comme un art que comme un artisanat sonore, souvent conçu à l’image de tout autre bien de consommation.

Récemment, l’on m’a suggéré de m’aventurer dans les territoires de la musique minimaliste. Après avoir écouté plusieurs œuvres, je n’ai pu qu’admirer l’ingéniosité de ces compositeurs, leur science de l’orchestration, leur sensibilité au timbre et à la couleur sonore. Mais cela m’a donné l’impression d’un monde privé de tension, d’un langage sommaire, d’une musique qui tourne sur elle-même sans jamais creuser dans l’âme. Peut-être cette esthétique vise-t-elle à regagner un public dérouté par l’atonalisme, en renouant avec un mode tonal réduit à son plus simple appareil — hypnotique à force de répétition, mais sans commune mesure avec l’architecture vivante d’une passacaille de Haendel, d’une gavotte de Rameau ou d’une sonate de Domenico Scarlatti.

La trajectoire historique de la musique occidentale dessine une immense fresque : celle d’une complexification toujours plus subtile des structures harmoniques et contrapuntiques, d’un approfondissement du langage sonore, d’une quête inlassable de l’émotion par la forme. Ce processus, porté à son sommet avec Bach, s’est prolongé trois siècles durant. La création musicale contemporaine n’en est que l’écho lointain, la dernière lueur d’une comète qui a jadis embrasé le ciel spirituel de l’Occident.

À cette ascension a succédé une descente : la musique minimaliste en est l’un des symptômes. Elle simplifie ce que la tradition avait complexifié, elle émonde là où l’histoire avait tissé, elle épuise le verbe sonore jusqu’à le réduire à un balbutiement sans souffle. Non pas par incapacité ou par défaut de talent — car le génie n’a pas disparu — mais parce que la civilisation elle-même semble las, inclinant vers l’instantané, préférant l’effet immédiat à l’effort de l’écoute attentive.

Il ne s’agit pas d’innovation, mais d’une capitulation silencieuse. Le minimalisme est moins une esthétique qu’un aveu : celui d’une culture en reflux, d’un monde qui, ayant oublié l’ascèse de la beauté, se contente de ses reflets.

En conclusion, si je me trouvais de passage à l’étranger pour une seule journée et qu’une affiche annonçait un concert de musique minimaliste, je détournerais mon regard sans hésitation. Mais si quelque part l’on jouait la totalité des cantates de Bach, je prolongerais mon séjour, fût-ce au prix de l’imprévu, afin de me souvenir, ne serait-ce qu’un instant, de ce que le mot musique a pu signifier.

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